Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le mensonge et l’arbitraire, d’amour pour la lumière et la liberté. »

Après elle, un orateur ouvrier vient exposer la signification de cette journée de fête. « Jusqu’ici, dit-il, nous n’avons chômé que par habitude, par superstition, par obéissance, par contrainte… Ce qui nous réunit aujourd’hui dans cette intime association d’idées, c’est uniquement et seulement notre volonté, une volonté aussi libre qu’elle est éclairée et inébranlable… Cette fête est une démonstration. Nous passons aujourd’hui la revue de nos forces, en tous pays, sans distinction de drapeau, de langage et de race, sans distinction d’âge et de sexe…

« Nous avons choisi pour cette manifestation l’époque où la terre se rajeunit, retrouve une vie et une parure nouvelle, où, gonflés par la toute-puissance de la nature, les cœurs humains battent plus forts et plus hardis, se sentent remplis du désir de l’amour et du besoin de l’action… Par la vertu de cette fête, même aux plus infortunées victimes de l’apathie et de l’ignorance, les écailles sont tombées des yeux. »

Une nouvelle inattendue vient porter l’enthousiasme à son comble sur la prairie de Dornenau. On apprend que Harold Freeman, non content d’accorder la journée de huit heures, la restriction du travail des femmes et des enfans, l’assainissement de la fabrique, l’établissement d’appareils de sécurité auprès des machines, a pris une décision plus radicale encore. Il fait don à la communauté de ses ouvriers de l’usine elle-même, se contentant de réclamer une place dans leurs rangs comme dessinateur, car il se sent capable d’exercer cette profession. Schinder est congédié, et Streng, comme le plus considéré de tous, sera le directeur de la nouvelle Association coopérative.

Ici se place un épisode tout à fait anglais, dans lequel il est facile de reconnaître l’influence directe de Ruskin et de Morris. Freeman vient en personne tenir un discours à ses collaborateurs sur la mission de l’art dans la solution de la question sociale. « Pour éviter, dit-il, les maux qui découlent de la soif du gain, il vous suffira de considérer ce gain comme une chose accessoire, et de vous attacher en première ligne à la perfection et à la beauté de votre travail. Vous vous efforcerez, par l’union de vos forces, d’accroître la valeur intrinsèque des produits que vous façonnerez. Vous ne fabriquez pas mal et à bon marché, pour triompher dans la lutte commerciale, mais vos œuvres seront