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Que les Anglais, remontant déjà jusqu’à Say, y ont « établi leur influence… qu’ils ont eu la prétention de pousser leurs reconnaissances de Say à Bourroum d’où ils pouvaient menacer Tombouctou, nous couper de l’Algérie et nous créer à l’arrière de nos possessions africaines de grandes difficultés… Nous avions l’accès du lac Tchad qui, d’après les voyageurs étrangers, — car les Français n’y ont pas encore planté leurs jalons, — peut devenir le centre d’un grand commerce… Revendiquer ces villes florissantes du Sokoto ? Nous n’avons pu le faire parce que les Anglais avaient déjà passé des traités avec le Sokoto : ils n’auraient pas consenti à reculer. C’est un avantage pour nous qu’ils aient renoncé à étendre plus loin leur action au nord et qu’ils nous aient laissé un libre accès au lac Tchad, où ils ne pouvaient manquer de nous devancer et d’où ils auraient pu nous exclure. On avait assuré à la France la possession de toutes ces routes de caravanes, de toute cette immense zone qui est placée à l’arrière de nos possessions algériennes. Si ce n’est pas là un avantage commercial comparable à la possession du Sokoto, vous avez bien voulu reconnaître que c’était du moins un avantage politique qui n’est pas à dédaigner.


Ainsi, pour avoir regardé quelques cartes étrangères, on voyait déjà les Anglais à Tombouctou et l’on traitait avec eux, sans songer à vérifier les dires d’un adversaire, qui était pourtant encore à 1200 kilomètres de ce point de Bourroum ! On ne s’étonnait pas que ce peuple maritime n’eût donné aucune carte du cours encore inconnu du fleuve qu’il disait occuper ! On admettait que l’Angleterre se souciât de nos frontières algériennes : que nous importe celle de l’Inde et du Tibet ? Le litige, c’était le partage du Soudan ; M. Ribot y substitua le partage de l’Afrique occidentale. A la France le nord, côté Algérie ; à l’Angleterre le sud, côté Lagos et bas Niger. C’est géométrique. Rien qu’en posant ainsi la question, on était battu.

Nous nous interdisions donc de convoiter le Sokoto, le Bornou et tous les pays compris entre ces États, le Niger, la Bénoué et le Tchad, pays élevés, sains, riches en cultures variées, en hommes actifs et vaillans. En échange, des pays arides, à plantes épineuses, où les animaux et les hommes, s’il y en a, sont nomades. Comme on comprend les félicitations de la compagnie à lord Salisbury, qui déclarait, souriant, à ses compatriotes : « Le terrain cédé à la France est ce qu’un agriculteur appellerait un sol léger, très léger ; en fait, c’est le désert du Sahara ! » Il avait dit aussi : « Rien n’empêche la France de s’avancer au sud aussi loin qu’elle le désire ; elle ne rencontrerait sur son chemin ni un traité quelconque, ni un droit international existant. »

Le traité prévenait-il au moins tout conflit ? Non, il ne