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— Allez dans la cuisine, dit-elle aux soldats, vous y trouverez ma fille ; je ne puis quitter mon pauvre frère Jacques, il est à mourir, il ne parle plus ; il est si pâle qu’on le croirait mort.

Les hommes sortirent de la chambre et, après une halte d’un quart d’heure, s’éloignèrent sur le chemin de Plancoët ; dès la nuit venue, on ramenait le marquis à la Guyomarais, où il reprenait, avec Saint-Pierre, la chambre qu’ils avaient précédemment occupée. Déjà le docteur Taburet était venu deux fois visiter le malade ; à sa troisième visite, il le trouva mieux : tout espoir de guérison n’était pas-perdu. Il indiqua un traitement à son confrère, le chirurgien Morel, qui, résidant à Plancoët, pouvait fréquemment se rendre à la Guyomarais sans éveiller l’attention. Morel veillait auprès du lit jusqu’à une heure avancée de la nuit : il resta même toute une journée en observation. En l’absence des médecins, Mme de la Guyomarais donnait des soins au marquis : celui-ci n’avait d’ailleurs rien perdu de son énergie ; il s’informait des nouvelles, se préoccupant du procès du Roi, des tentatives projetées pour sa délivrance : il recevait le fidèle Loisel qui, caché dans les environs, venait souvent conférer avec son maître : une seule fois Loisel, « qui ne se fixait jamais au château », prit part au repas des domestiques, et « n’ouvrit la bouche que pour manger, ce qui sembla mystérieux. »

Le 26 janvier, vers le soir, arrivèrent Fontevieux et Chafner. Ce dernier revenait d’Angleterre où la Rouerie l’avait envoyé vers la fin de décembre. M. de la Guyomarais reçut les amis du marquis, les informa de l’état du malade, et leur rendit compte des derniers incidens. Chafner, à son tour, ne cacha pas que le bruit courait, à Londres, parmi les royalistes, qu’un traître, dont on ignorait le nom, s’était glissé au nombre des conjurés : on y disait ouvertement que la Rouerie attendait le moment d’agir, réfugié dans un château qu’on ne désignait pas, mais qu’on savait voisin de Lamballe et de la Hunaudaye. Quant à Fontevieux, il apportait une terrible nouvelle : le Roi avait été mis à mort, le 21 janvier : les journaux parvenus en Bretagne publiaient les détails de l’exécution.

Tous, d’un commun accord, convinrent qu’il fallait cacher au marquis ces désastreux événemens ; leur révélation, dans l’état de fièvre où il se trouvait, ne pouvait qu’aggraver son mal : il s’était bien souvent lamenté sur son inaction forcée qui compromettait le succès de son œuvre ; si la vérité lui était dite, aucune