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l’idée qu’un fonctionnaire pût forfaire à son devoir, quel qu’il fût, était trop étrangère à leur habitude d’esprit : elles ne virent dans la proposition de Lalligand qu’un moyen de joindre à ses prisonniers les quelques hommes d’action dont il les invitait à mettre le dévouement à contribution, et elles dédaignèrent de répondre. Elles avaient, d’ailleurs, d’autres pensées : elles se sentaient dans la main de Dieu et se disposaient à mourir. Lalligand ne leur avait pas caché que bientôt elles seraient transférées à Paris. Connaissant par ouï-dire le régime des prisons du tribunal révolutionnaire, elles voulaient mettre à profit leur séjour dans les cachots de Rennes, ville où elles comptaient de nombreuses relations, pour se préparer pieusement à la mort. Dès qu’elles furent écrouées à la Tour-le-Bat, où elles retrouvèrent Thérèse de Moëlien, que Sicard avait arrêtée à Fougères, une amie leur fit savoir que, dans une cellule, séparée seulement de la leur par une porte lourde et massive, était enfermé un vieux et respectable prêtre réfractaire. Les dames Desilles reçurent cet avis comme une grâce du ciel : elles parvinrent à se mettre en rapport avec cet ecclésiastique ; puis, comme aux jours des persécutions antiques une fille de la Charité, la sœur Marie-Anne, leur apporta, cachées dans la piécette de son tablier et enveloppées dans un linge d’autel, cinq hosties consacrées. Lalligand avait là, décidément, de piètres clientes : c’était encore une affaire manquée et, ce qui rendait sa déception plus amère, il lui fallait quitter la Bretagne, un arrêté du Comité de sûreté générale ordonnant la translation à Paris de toutes les personnes compromises dans la conspiration de la Rouerie.

Le pays, cependant, était en insurrection et l’on pouvait craindre que le convoi ne fût attaqué. Le 10 mars, en effet, date fixée par la Rouerie pour le soulèvement général des provinces bretonnes, les paysans, en maints endroits, avaient pris les armes. La mort du colonel Armand avait été tenue secrète par les royalistes ; le gouvernement s’était efforcé de l’ébruiter, mais les gars n’y croyaient pas ; soit que les affiliés à la conjuration voulussent obéir encore, même à leur chef disparu, soit que l’impopulaire décret prescrivant une levée de 300 000 hommes décidât à la révolte les plus indifférens, tout s’embrasa en un seul jour, comme si l’unie ardente du marquis de la Rouerie eût encore présidé à cette explosion de colères. La mine qu’il avait chargée depuis si longtemps éclata tout à coup : l’incendie s’allumait