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pour amener l’Espagne à rapporter cette mesure, « attendu qu’aujourd’hui la poudre n’est pas seulement faite avec du soufre ». Le soufre, nous le reconnaissons, n’est pas expressément compris dans l’énumération faite par la convention italo-américaine du 26 février 1871, qu’on a citée plusieurs fois comme le type le plus parfait des traités restrictifs conclus dans la seconde moitié du XIXe siècle, et quelques publicistes contemporains le retranchent de la liste en même temps que le salpêtre, l’un et l’autre étant des matières premières qui, pour devenir un moyen de guerre, comportent une transformation préalable. Toutefois l’Espagne, en rédigeant son décret, n’était pas sortie de la coutume internationale, enracinée depuis plus d’un siècle et demi[1], confirmée par la déclaration de 1780.

Faut-il classer la houille parmi les articles de contrebande ? Aucune question de droit international n’a suscité, depuis cinquante ans, de plus vifs débats. La houille, disent les uns, est le nerf de la guerre maritime, car un navire de bon tonnage en consomme par jour environ 100 000 kilogrammes, un croiseur de moyennes dimensions 60 000 ou 65 000 ; la houille, répondent les autres, est un simple agent de locomotion et n’augmente les moyens d’action offensifs ou défensifs que d’une façon indirecte.

Que pense, au juste, l’Angleterre ? La question est à peu près insoluble, d’abord parce qu’elle est pour nos voisins, de l’ordre politique et non de l’ordre juridique, comme toute la réglementation de la contrebande, ensuite parce que le gouvernement de S. M. britannique la tranche de deux manières différentes selon qu’il est belligérant ou neutre, enfin parce qu’on est exposé sans cesse à confondre, dans les notes ou dans les déclarations anglaises, la contrebande absolue et la contrebande conditionnelle, celle-ci comprenant les marchandises douteuses qu’il est tantôt licite et tantôt illicite, selon les conjonctures, de porter à l’un des belligérans. C’est ainsi que, durant la guerre de Sécession, la Grande-Bretagne rangea la houille parmi les articles saisissables quand elle serait vendue pour aider ou achever l’exécution d’un acte hostile : le comte Sclopis exigeait de même, dans le procès de l’Alabama, le 25 juillet 1872, pour que cette marchandise fût réputée res hostilis, un concours de circonstances particulières. Un décret britannique défendit de la transporter directement, pendant

  1. Et non pas seulement depuis 1778, comme l’a dit le professeur de Boeck. Voir le traité anglo-russe du 2 décembre 1734, art. 12.