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même subordonne toutes les manifestations de la pensée à la discipline d’une volonté toujours en éveil ». Si l’historien affaiblit ou exagère en quelque point le trait de l’ambition, l’ombre portée de la dissimulation chez Richelieu, qui donc s’en apercevra ? Mais voici que le peintre des Cherifas et des Derniers rebelles amenés vifs ou morts devant le Sultan entreprend de faire le portrait de M. Hanotaux. Qu’il commette la moindre erreur de physiognomonie ou de psychologie, le public la décèlera sans retard et la lui reprochera sans ménagement.

De plus, parce que, d’ordinaire, l’historien portraiture d’après un mort et le peintre, au contraire, « d’après le vif », comme on disait autrefois, le premier ne doit à son héros que la vérité, tandis que le second ne peut pas toujours, pour accentuer la ressemblance, souligner tel trait défectueux du modèle. M. Hamilton ne nous montre pas clairement la main gauche de M. Gladstone dans le portrait qu’il expose, cette année, et aucun des portraitistes du grand homme d’Etat n’a peint cette main mutilée par un accident de chasse. M. Benjamin Constant ne nous a pas non plus montré, l’an dernier, celles du vainqueur de la Smala, sinon toutes gantées. « Ne serait-il pas ridicule, disait le bon Gérard de Lairesse, en 1690, de faire voir le maréchal de Luxembourg de profil, afin qu’on puisse mieux apercevoir sa bosse, à cause que c’est par ce défaut de conformation qu’on reconnaît le plus facilement ce grand homme de guerre ? » Et l’honnête auteur du Grand Livre des peintres , pris entre son désir de vérité et son goût esthétique, suggère cette extraordinaire transaction : « Si vous avez à peindre un brave officier qui a perdu un bras ou une jambe en combattant pour la patrie, faites-le dans le goût antique, c’est-à-dire servez-vous d’un bas-relief pour rappeler l’action dans laquelle il a perdu ce membre, ou pendez la jambe ou le bras artificiel contre le mur, à côté de vitre personnage, avec les courroies et les boucles qui servent à l’attacher au corps, ainsi qu’on le fait avec les attirails de guerre ou de chasse, ou placez-le parmi les ornemens d’architecture, afin qu’il puisse être facilement aperçu… » Mais, s’il s’agit d’une oreille trop grande, d’un œil qui louche ou d’une bosse sur le front, on ne peut les pendre en ex-voto sur la muraille, et ce sont là choses plus difficiles à cacher pour un peintre, chez son modèle, qu’une petite tare morale, chez son héros, pour un historien.

Tous les deux, d’ailleurs, ont, en traçant un portrait, le même