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Une énorme quantité de terre, trente tonnes par hectare, d’après Darwin, circule chaque année au travers du tube digestif des vers qui parsèment de leurs déjections, en petits monticules, les allées humides des parcs, les prairies, les champs cultivés. Les espèces tropicales, plus vigoureuses que celles des régions tempérées, rejettent parfois des cônes de terre de 10 centimètres de hauteur. L’ameublissement du sol qui résulte de leur travail est jugé si avantageux, par quelques peuplades de la Guinée, qu’elles n’ensemencent que les terres dans lesquelles pullulent les lombrics.

La végétation, s’emparant de toutes les terres humides, y abandonne des débris qui, soumis aux causes d’altération que nous venons de décrire, ajoutent au sable, à l’argile, au calcaire le quatrième élément constitutif de nos terres : l’humus.

Si sur les plateaux à surface horizontale la composition du sol ne varie guère, il n’en est plus de même dans les pays accidentés. Les eaux, qui descendent brusquement les pentes déboisées, entraînent non seulement les terres meubles, mais transportent même à de grandes distances des blocs rocheux, des cailloux, qu’elles déposent lorsque, arrivées dans les parties plates, leur cours se ralentit. On évalue à 21 millions de mètres cubes la quantité de matières solides que le Rhône entraîne chaque année jusqu’à la mer.

Aussitôt qu’ils atteignent la mer, les fleuves abandonnent les limons qu’ils ont charriés pendant leur parcours ; au contact des eaux marines, l’argile se coagule, n’est plus miscible à l’eau et se dépose rapidement ; à peu de distance de l’embouchure d’un fleuve limoneux, la mer conserve sa limpidité.

Cette précipitation des limons forme des terres nouvelles ; tous les grands fleuves du globe ont engendré des deltas et ne se fraient que difficilement un passage au travers des boues qu’ils ont accumulées à leur embouchure. Le Rhin, le Rhône, le Pô, le Fleuve Rouge du Tonkin, l’Amazone, l’Orénoque, ont des bouches multiples ; les alluvions du Mississipi ont couvert un espace de 31 800 kilomètres carrés, et le delta du Hoang-Ho, ou Fleuve Jaune de la Chine, s’étend au moins sur 250 000 kilomètres carrés. Ces dépôts, accumulés pendant des siècles, forment en général des terres d’une extrême fertilité ; les limons abandonnés par le Nil sur les terres qu’il recouvre au moment des grandes crues, ceux qu’il laisse dans les canaux d’irrigation, ont fécondé