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poèmes de l’Inde, d’ailleurs plus récens (nous l’avons vu) que la religion hellénique. Une seule identification a subsisté, celle de Dyâus avec Zeus, mais ces deux mots désignaient simplement le ciel, non une divinité proprement dite que les Grecs auraient empruntée aux Orientaux[1].

Des vieux Pélasges, on rapporte qu’ils adoraient le Dieu du ciel sur leurs montagnes sacrées, sans images, sans lui donner un nom déterminé. Quand il s’agit de ces temps antiques, une divinité « sans nom et sans images », c’est simplement une puissance de la nature qui n’a pas encore été humanisée, mais à laquelle, cependant, sont consacrés des fétiches, comme les pierres sacrées et le chêne de Dodone, l’aigle, le loup, la chouette, qui devinrent plus tard les « attributs » de Jupiter, d’Apollon, d’Athéné[2]. Au fond, la plus vieille religion grecque était analogue à toutes les religions primitives. Les fouilles de Mycènes et de Tirynthe, outre les restes d’un âge de la pierre taillée et polie, ont découvert des idoles informes, parfois bestiales. Déjà, cependant, la forme humaine est préférée, et le goût pour cette forme ira toujours augmentant : il caractérisera le polythéisme hellénique. Que les dieux de la Grèce aient été primitivement des objets de la nature, là n’est pas le point important ; il est clair que, dans toutes les mythologies, le soleil, la lune, les astres, la terre, jouent nécessairement un rôle, mais ce qui distingue les génies des peuples, c’est la manière dont ils conçoivent et réalisent les grandes causes des phénomènes. Or, le Grec révèle à la fois son instinct d’artiste par la belle forme humaine qu’il érige en représentation des puissances supérieures, et son instinct philosophique par la nature spirituelle de l’homme qu’il divinise. Hérodote a sur ce sujet un mot d’une étonnante profondeur : les divinités de l’Asie, dit-il, sont de forme humaine, ἀνθρωποειδεῖς (anthrôpoeideis), mais les divinités de la Grèce sont de nature humaine, ἀνθρωποφυεῖς (anthrôpopheis). Il y a dans l’homme, en effet, un élément divin, la pensée ; les Hellènes le transfèrent à leurs dieux et, en même temps, purifient les formes humaines pour les réduire en quelque sorte à leurs proportions éternelles, constitutives de la beauté : ils en font des corps glorieux et immortels, enveloppes subtiles de la subtile pensée. Au lieu donc d’être simplement les forces physiques, les divinités grecques sont plutôt les victorieuses de ces forces, pour toujours

  1. Otto Gruppe, Die Griechischen Culte und Mythen ; Leipzig, 1887.
  2. Voir Tiele, Manuel de l’Histoire des religions.