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qui l’intéressait était de savoir lequel des deux était le plus accessible, le plus accueillant, quand on avait quelque chose à lui demander, lequel était le plus certain, le cas échéant, d’avoir l’oreille du ministre. Tout en l’écoutant et lui répondant, je pensais à M. Bodley, à certain calé où il était entré, et je pensais aussi au sculpteur en bois qui lui avait dit : « Monsieur, je ne m’occupe pas de politique ». Cet homme de bien avait tort, il faut s’en occuper : ce ne sont pas ceux qui cassent les verres qui les paient.

« La France, dit M. Bodley, s’est donné du même coup deux constitutions : l’une écrite, celle de 1875, en vertu de laquelle le pouvoir exécutif est confié à des ministres responsables devant les Chambres, et de qui relèvent tous les services administratifs ; l’autre, qui n’a pas été écrite, pose en principe que le pouvoir exécutif est exercé à Paris dans les bureaux des départemens centraux de l’État, avec la coopération des membres du Parlement, et en province dans les bureaux des préfectures, sous la direction des politiciens.

« Pression exercée par les législateurs sur les ministres du jour, rapports d’intérêt entretenus par eux avec les fonctionnaires chargés de distribuer les faveurs, sollicitations et intrigues préparant la nomination à tout poste administratif ; embarras et peines d’esprit des préfets et des sous-préfets, qui vivent dans la dépendance de deux familles de maîtres, leurs chefs hiérarchiques et le clan inofficiel des meneurs locaux, toujours prêts à les dénoncer au député, tel est l’état des choses, comme l’attestent des juges impartiaux, aussi connus par leur attachement à la République que par leur modération. » On nous accuse de n’avoir pas le génie du commerce, et cependant notre pays est en matière d’élections et de nominations celui où il se conclut le plus de marchés avantageux aux deux parties contractantes, où « donnant donnant » est l’universelle devise. La France politique est une vaste société de secours mutuels ; mais il y a dans cette société un peu mêlée beaucoup de désarroi, chacun tire à soi la couverture. Nous sommes trop administrés, nous ne sommes pas assez gouvernés. Le mal dont nous souffrons est le désordre, l’incohérence, ce que le roi Louis-Philippe appelait le gâchis.

Les républicains modérés, dont M. Bodley invoque le témoignage, ne pensent pas que le mal qu’ils déplorent soit sans ressource. Le vote obligatoire, qui contraindrait les indifférens à sortir de leur apathie, la décentralisation administrative, la substitution des grands partis au système des groupes, chacun propose son remède. Le publiciste anglais ne croit pas à l’efficacité de ces réformes qui, selon lui, ne sont