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Ces actes de confiance et de foi assurent d’autant mieux l’obéissance qu’ils sont plus spontanés. Or ils le sont en proportion de l’attachement à la patrie et du prestige exercé par les chefs sur leurs subordonnés. Les chefs n’ont d’ascendant et d’autorité que dans la mesure où leur valeur intellectuelle et morale est reconnue de ceux-ci : toute organisation mécanique, même la plus savante, de la force matérielle d’une armée demeure stérile sans le concours de cette force immatérielle. Quiconque y porte atteinte sape l’édifice militaire par la base et en prépare infailliblement la ruine.

L’observation des réglemens et des consignes trouve sa première et sa meilleure garantie dans la soumission spontanée. Malheureusement, cette garantie a besoin d’être appuyée d’une autre qui soit fixe et ferme, d’une sanction pénale : car, même spontanée, la soumission est sujette à des défaillances ; les mouvemens passionnels, comme la colère, ou certains vices, comme la paresse et l’ivrognerie, certains défauts, comme l’inexactitude, peuvent, sinon l’abolir, du moins en paralyser les effets. Les dispositions morales qui la créent peuvent enfin manquer totalement ; le souci même des intérêts de la patrie peut être sacrifié à l’intérêt personnel du moment ; or, à tout prix, l’obéissance doit être obtenue, à moins de consentir à voir diminuer les moyens de protéger contre l’ennemi le sol et l’indépendance de la nation.

Mais, objecteront les révoltés à outrance, ce qu’on nomme la patrie, n’est au fond qu’une entité dont le caractère prétendu sacré profite exclusivement à ceux qui ont intérêt à la conserver. Il n’y a, en réalité, de patrie que pour ceux-là ; et, s’ils s’arrangent entre eux de manière à jouir seuls des avantages offerts par les liens héréditaires et autres qui la définissent, ils ne doivent pas s’étonner de rencontrer un refus d’obéir parfaitement légitime chez ceux dont ils sacrifient tous les intérêts aux leurs par une organisation léonine de la société. Argument redoutable, qui s’impose à la méditation des égoïstes insoucieux de certaines inégalités injustifiables et de la détresse imméritée. Il ne suffit pas de répondre que l’inégalité des conditions est fatale, car il existe entre elles plus d’une différence artificielle. Il ne suffit pas non plus d’alléguer que la misère est la suite ordinaire de la paresse, car il existe des infirmes et des incapables fort innocens de leur inutilité, tandis que les hommes valides et instruits sont responsables de la leur quand ils se dispensent de travailler grâce