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chacun, l’empereur Alexandre tout le premier, veut être en mesure dans le cas d’une révolution à la 89. Il est important de ne pas menacer la France. Mais il n’est pas mauvais que les malveillans sachent que s’ils voulaient révolutionner, ils auraient sur le corps toute l’Europe, comme en 1815… Metternich m’a montré une dépêche à Vincent sur ses dernières entrevues avec Monsieur. Elle est parfaite. On exhorte Monsieur à faire cause commune avec le Roi contre leurs ennemis communs. Voilà ce que pense l’empereur d’Autriche. Mais, M. de Chateaubriand pense autrement, et pourvu qu’il puisse dire qu’il l’avait bien prévu, il sera consolé d’une conflagration générale. Son Conservateur est écrit dans un bien mauvais esprit. »

Le résultat en fut connu le 30 octobre. Il ne réalisait pas toutes les espérances de Decazes, qui l’avouait avec franchise, mais sans découragement ; il dépassait en revanche les craintes de Richelieu, que la nomination de La Fayette, de Manuel et de Benjamin Constant troublait plus que de raison.

« Je vous plains, et je regrette vivement de n’être pas avec vous pour partager vos peines et remonter votre courage, qui au reste n’en a pas besoin, comme je vois. Je m’attendais bien à Benjamin Constant ; mais pour La Fayette, c’est un peu trop. L’effet, comme vous pouvez croire, est affreux ici, et le regret d’avoir signé l’évacuation se fera voir chez plus d’un de ces messieurs. Quel propos que celui du duc de Polignac ! Il faut s’attendre que ses amis et lui vont triompher. Mais quand même nous aurions eu tort, y aurait-il là de quoi se réjouir ? Mais c’est ainsi que raisonne l’esprit de parti. Quelques châteaux de brûlés et quelques bonnes insurrections les arrangeraient bien davantage. »

C’est un trait bien caractéristique et un signe des temps qu’un esprit aussi pondéré que celui de Richelieu pût prendre ainsi au tragique l’élection d’un homme comme La Fayette et y voir le symptôme d’un bouleversement prochain. Il est vrai qu’à Aix-la-Chapelle, le président du Conseil vivait parmi des personnages instinctivement défians de toute manifestation libérale et prompts à s’en alarmer. Et puis, des rumeurs dont l’inconsistance ne fut démontrée qu’au bout de quelques jours étaient venues jeter l’inquiétude parmi les membres du Congrès. On racontait que Napoléon avait été surpris au moment où il allait s’enfuir de Sainte-Hélène. On prétendait même qu’il était parvenu à s’évader. D’autre part, on croyait qu’un complot avait été ourdi à Bruxelles