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de cœur en prévoyant tous les maux qui menacent ce malheureux pays. La liberté de la presse est la boîte de Pandore d’où sortiront toutes les calamités qui désoleront la terre. Avec elle, toutes les institutions anciennes seront détruites et les nouvelles ne prendront pas racine. Il y a longtemps que le duc de Wellington me l’a prédit… Il est pourtant triste que vingt-huit millions d’hommes soient condamnés à des inquiétudes sans cesse renaissantes, et peut-être à d’affreux malheurs, pour que quelques folliculaires aient la liberté de déverser à loisir leur venin autour d’eux et d’empoisonner l’esprit public. Cela est tout à fait propre à mettre en colère. »

Des extraits des dernières lettres qu’il écrit à Decazes avant de quitter Aix-la-Chapelle révèlent clairement l’état de son âme. « Il faut montrer aux Chambres la situation comme elle est et demander des moyens de gouvernement. En parlant franchement, nous trouverons de l’appui. Il faut profiter de la majorité que nous aurons encore cette fois pour arranger les choses de manière à ne plus la perdre. Ne pensons plus à des concessions libérales. Nous en avons fait assez qui ne nous ont guère réussi. Nous ont-ils su gré de l’ordonnance sur la garde nationale, même de l’évacuation ? Avons-nous converti un seul de ces misérables ? » Et le lendemain : « Il faut demander et obtenir tout ce qui est nécessaire pour faire marcher le gouvernement et se retirer si on ne l’accorde pas, car nous ne pouvons ni prendre sur nous la responsabilité d’une besogne que nous sentons ne pouvoir accomplir, ni changer complètement de système, en avouant que nous nous sommes trompés. Méditez bien notre position. »

La perspective de la retraite du duc de Richelieu arrachait une protestation à Decazes. Sans doute, la situation n’était pas bonne, il le reconnaissait, quoiqu’on en eût exagéré le péril, au lendemain des élections. Elle pouvait redevenir excellente, si l’on se déterminait « à gouverner fortement », à ne tolérer nulle part des fonctionnaires rebelles, en opposition avec l’opinion et les intérêts.

« Tout ceci me fait vivement désirer que vous restiez à votre poste, et pour vous, et pour nous. Soyez sûr que c’est ce qu’il y a de mieux. Rapportez-vous-en à mon amitié et à mon patriotisme. » C’étaient là de bonnes paroles. Mais elles ne voilaient qu’imparfaitement la réalité, à savoir que Richelieu rentrait à Paris plus découragé qu’au moment de son départ, et qu’il tendait