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et c’est pour protéger l’instituteur qu’on perpétuait sa subordination à l’endroit de la préfecture. M. Jules Simon, M. Bardoux, M. le pasteur de Pressensé, sonnaient vainement l’alarme. Lorsqu’ils craignaient l’entrée de la politique militante dans l’école, on croyait réfuter leurs inquiétudes en redisant avec Jules Ferry : « Les instituteurs ne doivent être ni les serviteurs, ni les chefs d’un parti ; ils ne doivent pas faire de politique ; ils doivent être en dehors des partis. Ils doivent se mettre en garde contre la politique militante et quotidienne, contre la politique de parti, de personnes, de coteries. » Car Jules Ferry, tout le premier, avait pressenti et essayé de conjurer les dangers indéniables dont se préoccupaient MM. de Pressensé, Bardoux et Jules Simon. Mais lorsque, après avoir défendu aux instituteurs d’être neutres et les avoir soumis aux directeurs naturels de l’action électorale, M. Jules Ferry et ses successeurs leur recommandaient de ne point faire de politique, les instituteurs comprenaient, — et peut-être ils n’avaient point tort, — que leur concours électoral, quoi qu’on affectât d’en penser théoriquement, serait accepté durant la mêlée, et récompensé lors de la victoire.

Le parti républicain livra trois grandes batailles : en 1885, contre les monarchistes ; en 1889, contre la tentative boulangiste ; en 1893, contre les hommes nouveaux qui, sous l’étiquette ingrate de « ralliés », offraient loyalement leur adhésion. Il gagna complètement les deux premières et assista au découragement de ses ennemis, ce qui est le raffinement de la victoire. Il ne gagna qu’à demi la troisième, puisque les « ralliés » sentaient croître leur tendresse pour la République à mesure que le parti républicain les battait, et puisque leur persévérance, tout ensemble active et résignée, leur a finalement ouvert l’accès du Parlement. Il parut aux instituteurs, en ces trois circonstances, que leur intérêt était étroitement lié à celui de la République, qu’ils triompheraient avec elle ou péricliteraient avec elle ; et beaucoup d’entre eux apportèrent dans le combat cet acharnement qu’on met à se défendre soi-même. On les avait dressés et comme entraînés pour être, d’un bout à l’autre de l’année, dans leur commune, les champions actifs et belliqueux d’une politique ; et lorsque, à la veille des élections, ils recevaient des circulaires soudaines qui les invitaient au calme, il en était d’eux comme du vieux soldat qui sent l’odeur de la poudre : les réalités de la mêlée ont un attrait provocateur contre lequel les contre-ordres ne prévaudront jamais. Témoins du labeur où