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s’indignaient contre ce seigneur donnant l’exemple de la révolte ; le plus grand nombre ricanaient ouvertement du bon tour joué aux commissaires rennois ; tous s’attendaient à voir surgir le marquis à la tête d’une armée : l’antagonisme croissait entre ses partisans et ses détracteurs, et cette animosité rendait plus active la propagande de ses agens : les enrôlemens se faisaient presque ouvertement ; les autorités locales, indécises, fermaient les yeux, et chacun s’apprêtait pour le jour prochain où reparaîtrait le colonel Armand dont le nom, devenu presque légendaire, acquérait une immense popularité.


IV. — MONSIEUR MILET

Le marquis de la Rouerie avait quitté son quartier général, mais il n’avait pas fui : ce projet de retraite entrait dans ses plans : satisfait du résultat des stratagèmes qui lui avaient permis de prendre son temps et de réunir chez lui, à la barbe des municipaux hostiles, les chefs du complot, il avait abandonné son château, moins en proscrit qu’en stratégiste, exécutant un mouvement dès longtemps médité. Il en était sorti en plein jour, emmenant avec lui son fils, les personnes composant sa société habituelle, ses aides de camp et quelques-uns de ses serviteurs : les gens assuraient qu’il était parti par la route de Rennes, d’autres l’avaient vu s’éloigner sur le chemin d’Avranches ; en réalité, il avait pris une tout autre direction.

Tandis que les autorités le cherchaient aux environs de Saint-Brice et d’Antrain, le marquis s’était porté à quinze lieues de là, près de Loiron, c’est-à-dire à l’avant-garde de ses positions du côté de Paris, car il ne semble pas que l’association eût compté des recrues en deçà de Laval. Là se trouvait, réuni par une avenue au village de Launay-Villiers, le château du chevalier de Farcy de Villiers, qui, resté célibataire, vivait avec sa sœur Mme de Pontfarcy, ses nièces et une autre de ses parentes, Mlle Tuffin. En prévision du soulèvement prochain de la province, Mme de Lan-gan était venue avec ses deux filles se réfugier également chez son frère. On restait à Launay-Villiers dans la plus parfaite tranquilité ; on n’y apprenait que par les journaux et les lettres les progrès de la Révolution et les troubles qui agitaient la Bretagne. Les paysans des environs étaient bons, pieux, peu curieux et pauvres ; vivant des bienfaits du châtelain, ils lui étaient