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toujours disposé à obtempérer aux désirs du ministre favori, le Roi, cette fois, refuse d’y accéder.

« Je t’ai dit trop souvent, mon cher fils, écrit-il le 20 janvier, les motifs qui m’éloignent de la nomination d’un ministère de la Maison pour avoir besoin de te les répéter. Mais je veux bien me supposer personnellement désintéressé dans la question et ne l’envisager que dans ses rapports avec l’état actuel des choses. Comment se fera la nomination ? Je vais proprio motu ou sur la demande du Conseil. Dans le premier cas, ces messieurs seront un peu étonnés d’apprendre un beau jour, fût-ce par moi-même, que je vais avoir un ministre de plus. Dans le second, il est probable qu’ils voudront, du moins Dessoles, influer sur le choix. Mais, je vais plus loin et je suppose qu’ils se contentent de me représenter que le nombre impair est nécessaire pour former une majorité, que je réponde qu’en ce cas je vais nommer un ministre de la Maison, et qu’ils attendent mon choix. Voilà Pasquier nommé. Crois-tu qu’ils se méprennent à l’intention, et qu’ils n’en prennent pas quatre fois plus d’humeur contre la main dont est parti le coup ? Sans doute, cela nous donnerait la majorité. Mais, serait-elle bien sûre ? Actuellement que la division est égale, tu crains que cette majorité ne passe de l’autre côté. Il faudrait pour cela qu’un des nôtres se démanchât. Eh bien, à sept, la même chose pourrait arriver parce que cet un ajouté à trois ferait quatre, ce qui nous mettrait en minorité.

« Tu crains aussi qu’on ne t’accuse de me travailler contre la majorité. C’est ma volonté qui doit tout faire. Les ministres responsables disent au Roi : « Voilà notre opinion. » Le Roi répond : « Voilà ma volonté. » Si les ministres, après y avoir réfléchi, croient ne pas trop risquer en suivant cette opinion, ils la suivent. Sinon, ils déclarent qu’ils ne le peuvent. Alors, le Roi cède, s’il croit ne pouvoir se passer de ses ministres. Dans le cas contraire, il en prend d’autres. Voilà ce que je prévois qui nous arrivera. Si au bout de trois semaines, la division est si marquée, que sera-ce plus tard ? Crois-moi, une majorité escamotée, loin de prévenir la scission, la hâterait d’autant plus qu’elle irriterait ceux contre lesquels elle se trouverait en minorité, surtout le plus entier, le plus cassant des hommes ; tu sais bien qui je veux dire[1]. Mais, disons-nous bien une chose, c’est que cette scission ne

  1. Le baron Louis, ministre des Finances.