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font écho, d’autre part, les doléances émues de certaines natures élevées, généreuses, un peu sentimentales, qui déplorent qu’il n’y ait point de place en Italie pour tous les Italiens. Les statisticiens, enfin, viennent à la rescousse ; ils allèguent que, dans la péninsule, plus de 3 700 000 hectares sont des terres de pâturage ou des terres incultes ; et ils voudraient que tant de bras vacans, au lieu d’être employés à la prospérité du Brésil ou de l’Argentine, se consacrassent à l’Italie.

Mais, par ailleurs, on répond aux propriétaires qu’en entrant dans leurs calculs, en partageant leur mauvaise humeur, on accorderait à leur conception égoïste de la propriété un honneur parfaitement immérité ; on impose à l’attendrissement des âmes pitoyables un silence coupé de soupirs, en évoquant devant elles l’image de la réalité, si cruellement commentée par le petit paysan qui disait un jour à Mgr Scalabrini : « Ou je vole ou je m’envole » (o rubare o emigrare), on riposte aux statisticiens que, sur ces 3 millions d’hectares dont ils ont laborieusement fait le compte, un million seulement pourrait être efficacement cultivé, que, pour ce travail, en outre, l’argent ferait défaut, et qu’enfin, l’Italie est la région d’Europe où la productivité moyenne de l’hectare de céréales est la moins satisfaisante.

On fait observer aussi, à cette coalition d’adversaires, que les bureaux de poste de l’Italie méridionale ont pris, dans ces dernières années, grâce aux petits envois d’argent fréquemment adressés à leurs familles par les émigrés, une activité tout imprévue ; que l’Italie s’enrichit annuellement de 150 à 200 millions de francs, provenant des gains amassés au loin ; qu’un certain nombre d’émigrés, revenus avec quelque aisance, ont introduit dans leur pays d’origine un commencement de bien-être et de civilisation plus raffinée, que, dans la Calabre, par exemple, grâce à la discrète infiltration de ce progrès exotique, le pain de châtaigne est à peu près disparu, et que l’usage même du pain de seigle s’est beaucoup restreint ; enfin, que les émigrés dont les espérances ne sont pas déçues par l’Amérique, ceux surtout qui viennent des provinces méridionales, n’en conservent pas moins le désir du retour et l’amour du sol italien.

Vous trouvez au fond de tout Italien, parfois à demi sommeillante, mais jamais assoupie complètement, une imagination prête à toutes les conquêtes : et, sur les terrains où l’émigration italienne se déverse, cette imagination marche à pas de géant. On