Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

emporter et qu’il a emballés au dernier moment avec le plus grand soin. Car mon excellent compagnon fume beaucoup. Il fume sans cesse, ce qui est peut-être le secret de sa philosophie. Beaucoup de Russes en sont là. Seulement Balientsky, différent en cela de la plupart de ses compatriotes, ne fume que des cigares, et n’en pas avoir tout le long du chemin serait pour lui la pire des calamités. Aussi j’accueille de grand cœur les boîtes qu’il apporte au moment du départ, et je les fais mettre dans la plus étanche de nos caisses.

Le 22 octobre, mes préparatifs à peu près achevés, je me disposais à quitter Och lorsqu’arriva de l’Alaï un cavalier indigène annonçant au colonel Deibner et à moi que Groumbtchevsky, parti de Kachgar depuis quelques jours, était en route pour Och et que son arrivée était imminente. J’étais pressé de me mettre en route, mais d’autre part, je tenais absolument à rencontrer le savant voyageur qui devait me fournir sur les pays où j’allais moi-même pénétrer des renseignemens inappréciables. C’était aussi une certaine satisfaction pour moi, que d’être, moi Français, le premier Européen à le saluer à sa rentrée dans les pays habités après son voyage de dix-huit mois dans des régions inexplorées. Craignant de me croiser avec lui sans le voir, si je m’engageais dans la montagne, je pris le parti d’attendre à Och son arrivée et de retarder mon départ d’autant qu’il serait nécessaire.

22-24 octobre 1890. — Je séjourne à Och. La ville et l’oasis sont dominées, d’un côté par une ligne de collines qui bordent la rive droite de l’Ak-boura, affluent du Syr-daria, et de l’autre côté, à l’ouest, par une montagne, ou plutôt par un énorme roc, très escarpé, qui se dresse isolé, à deux kilomètres environ de la ville, sur la rive droite du même cours d’eau. Cette montagne porte le nom de Tombeau ou de Trône de Salomon et elle est célèbre dans tout l’Orient, où elle est considérée comme sacrée. C’est le but d’un pèlerinage très important qui, à une certaine époque de l’année, amène à Och des milliers de fidèles. Cette affluence est une source de grands revenus pour les monastères et établissemens religieux qui hérissent la base de la montagne. Les pèlerins y logent, ou campent tout à l’entour, et s’y livrent à des exercices rituels. La paroi rocheuse qui regarde l’Orient est absolument à pic, et, dans cette face verticale, à environ 400 mètres au-dessus de la base, s’ouvre une caverne profonde : c’est là qu’est conservé, dit-on, le trône de Salomon, roi des génies, le plus