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est, l’initiative en question ne saurait venir que d’un noble cœur. Elle se heurtera à de nombreuses difficultés pratiques : l’empereur l’a certainement prévu, et le fait même qu’après avoir fait publier sa Note, il est parti pour la Crimée, où il doit passer assez longtemps, montre qu’il ne s’attend pas à des réalisations immédiates. Beaucoup d’obscurités devront être éclaircies avant que s’ouvre, — si elle doit s’ouvrir, — la future conférence. Il ne s’agit pas du désarmement dans la note impériale, mais d’une limite à mettre à l’excès des armemens. Quelle sera cette limite ? Comment procédera-t-on pour la fixer ? Comment s’assurera-t-on qu’elle ne sera plus franchie ? N’y a-t-il pas quelques mesures à prendre avant de proposer cette règle aux puissances, si on veut réellement la faire accepter par toutes ? Un journal anglais demande déjà qu’on commence par résoudre les questions pensantes en Chine entre l’Angleterre et la Russie : c’est la question d’aujourd’hui ; il y en aura une autre demain ; il y en aura beaucoup d’autres avant la conférence. De cette conférence doit sortir la paix universelle, et aussi, comme fondement de cette paix, « la consécration solidaire des principes d’équité et de droit sur lesquels reposent la sécurité des États et le bien-être des peuples. » Tout le monde avouera que rien n’est plus désirable, mais en exprimant ce désir, sommes-nous certains, les uns et les autres, d’être d’accord sur le sens même des mots que nous employons ? Il y a beaucoup de manières de comprendre l’équité et le droit, qui sont d’ailleurs choses différentes et parfois difficiles à accorder. Que de précautions à prendre, que d’explications à demander, que de garanties à obtenir avant d’aller à la conférence ! Pour tout cela il faut du temps, et pendant ce temps-là, les grands armemens multiplieront leurs excès, les prétentions des puissances prendront des formes plus exigeantes, le monde enfin continuera de marcher comme il en a l’habitude. L’Angleterre ne construira pas un vaisseau, l’Allemagne ne fabriquera pas un canon ou ne formera pas un bataillon de moins. Et pourtant, c’est quelque chose d’avoir exprimé une grande pensée avec une autorité souveraine et d’en avoir confié la réalisation à l’avenir : la postérité en sera reconnaissante à l’empereur Nicolas.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.