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nacre de perle ou d’écaille pailletée, pur objet de mode. C’est fini, même pour les éventails les plus riches, ceux dont la monture est couverte de diamans et de pierres précieuses, des feuilles miniaturées ; le dernier des éventails d’artiste semble être celui offert à Madame Bonaparte vers 1800, qu’avaient dessiné Chaudet, Percier et Fontaine. Combien loin des éventails de Boucher !

A défaut de l’éventail, dont elle se sert peu, Joséphine a le schall. Il est étroit pour le soir, presque en écharpe, léger et fin à passer dans une bague, et c’est un jeu, plus délicat sans doute que celui de l’éventail, autrement voluptueux et significatif, celui de ce schall que l’on porte sur un bras, qu’on remonte aux épaules, qu’on laisse glisser jusqu’à la taille, ce schall tout mince, tout vaporeux, tout fluide en son tissu de rêve, qui obéit comme à la pensée et qui, étroitement lié au corps, en subit toutes les impressions, en traduit toutes les sensations, en trahit tous les désirs.


La toilette achevée, parachevée, Joséphine attend que le préfet du Palais vienne lui annoncer que le dîner est servi et que l’Empereur est prêt à passer à table. Elle attend une heure, deux heures, parfois trois ou quatre. Il arrive que l’Empereur oublie qu’il n’a point dîné et que, brusquement, à onze heures, il entre chez l’Impératrice, disant : « Allons nous coucher ! » et il faut qu’on lui rappelle qu’il n’a point mangé. Joséphine ne s’impatiente pas, ne monte pas chez son mari, respecte son travail. Ce qui est de la nourriture compte peu ou point pour elle : non seulement elle n’est point gourmande, ni même friande, mais elle n’a pour ainsi dire point de besoins. De fait, elle a eu un repas sérieux, le déjeuner, puis elle a pris le thé, et cela suffit dans cette vie sans nul exercice.

Elle reste donc là à causer avec ses dames jusqu’au moment où elles passent dîner à la table du Grand maréchal ou à celle de la Dame d’honneur, s’installe à des patiences qui sont le grand moyen qu’on a trouvé pour user le temps, ou bien fait venir, pour parler, quelqu’une des femmes de la petite intimité : le plus souvent, elle rêve aux moyens d’écarter cette menace du divorce constamment suspendue sur sa tête et dont l’approche inéluctable amené, depuis 1807, presque à chaque séjour de l’Empereur en France, une crise violente.

Lorsque, à la fin, Napoléon se souvient du dîner, le préfet du Palais avertit Joséphine, et elle se rend dans le salon où la