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son autorité était plus despotique que celle même du grand seigneur, et depuis cette époque rien n’est changé au Maroc ; aucune atteinte, si minime que ce soit, n’a été apportée à ce terrible pouvoir ; nulle tentative même n’a été faite pour le restreindre, tandis que la Turquie au contraire a été forcée d’entrer dans la voie d’un régime quasi parlementaire. Le pouvoir absolu, arbitraire, dans ce qu’il a de plus excessif, l’omnipotence d’un homme, on ne le trouve en aucun lieu de la terre aussi illimité et infini que dans l’empire du Maroc.

Ce pouvoir, infini dans son essence, est arrêté en certaines régions par l’autorité qu’ont su prendre quelques grands chefs religieux, des descendans du Prophète comme le sultan lui-même, quelques marabouts vénérés et les grands maîtres des confréries religieuses. Il est des pays entiers où le sultan n’est pas obéi et où le vrai maître est quelqu’un de ces personnages : ni ministres, ni chefs d’armée, ni gouverneurs des provinces et des villes n’ont une semblable puissance.

Tout le pays montagneux à l’est et au nord de Fez obéit au grand moqaddem de la zaouïa de Sidi-Edriss de Fez ; les tribus de la montagne ont-elles des affaires dans la ville, c’est le moqaddem qui intervient ; quand le sultan veut traiter avec elles, il a recours à son intermédiaire.

Les tribus du Tadla, plus au sud, les Zaïan et bien d’autres ne reconnaissent d’autre autorité que celle du marabout de Bou-el-Djad. Les agens du sultan ou ses soldats n’oseraient s’aventurer dans leur pays ; tout homme qui y passe est attaqué et dépouillé ; mais qu’un fils ou un petit-fils du marabout, armé du parasol, signe de l’autorité, accompagne le voyageur ou la caravane, et ceux-ci seront en sécurité parmi ces impitoyables bandits. La protection des voyageurs est devenue un des revenus de la zaouïa ; d’ailleurs les marabouts ne se montrent pas exigeans, mais malgré leur influence et leurs efforts, ils n’ont pas pu faire disparaître l’habitude des razzias.

Dans les régions du sud, il y a aussi trois chefs religieux dont le pouvoir est immense. Le marabout de Tamegrout, chef de l’ordre des Nacerya, est le vrai souverain des vallées de l’Oued-Draa et de l’Oued-Sous. Le marabout de Metrara, chef de l’ordre des Derkaoua, gouverne tout un district de riches oasis ainsi que les tribus puissantes des Aït-Atta, des Àït-Jafelnan et des Brabers. Le marabout d’Ilighr, Sidi-Hosseïn, est maître du