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rattache volontiers ses débuts à Moulei-Edris, le fondateur de Fez, et à une confrérie de disciples de l’Université de cette ville vers le Xe siècle de notre ère : en réalité, on ne voit pas qu’elle ait existé avant Moulei-Abdallah, savant chérif qui vint s’installer à Ouazzan, en 1678, et y fonda la grande mosquée. Suivant quelques hagiographes, il aurait reçu les instructions du Prophète pour l’organisation de l’ordre ; d’autres attribuent cet honneur à son fils et successeur, Moulei-Tayeb, qui a donné son nom à la confrérie. Quoi qu’il en soit, l’un et l’autre furent en bons termes avec Moulei-Ismaël, qui venait, en 1672, d’inaugurer la dynastie qui a régné jusqu’à ce jour ; ils l’aidèrent puissamment à s’emparer du pouvoir, et Moulei-Tayeb passe même pour avoir coopéré à la création de la fameuse garde noire des Bokhari. Les sultans se firent inscrire comme khouan de l’ordre, envoyèrent des cadeaux aux chefs, prirent souvent leurs avis, et par suite la congrégation des Taybiya devint comme une secte nationale opposée à celle des Quadrya, qui recevait son mot d’ordre de l’étranger, de Bagdad. On attribue à Moulei-Tayeb ce mot : « Nul de nous n’aura l’empire, mais nul ne l’aura sans nous. » C’est, en tout cas, une tradition que, à la mort du sultan, celui des prétendans à l’empire qui est reconnu par le chérif d’Ouazzan est le sultan légitime. A la mort du dernier sultan, en 1894, il en a encore été ainsi. L’ordre des Taybiya, très tolérant, très mondain presque, peu exigeant en matière de pratiques, a pour adeptes, avec le sultan, presque tous les personnages notables de l’empire.

La famille des chérifs d’Ouazzan a des biens considérables, qui lui appartiennent en propre, des fondouks et des maisons à Tanger, à Fez, ainsi que des mines de sel. Quant aux biens de la zaouïa, ils sont immenses ; outre la ville d’Ouazzan, avec près de 10 000 habitans et de beaux jardins alentour, elle possède des zaouïas dans presque toutes les villes du Maroc, dans la plupart des ksar du Sud ; elle en a un très grand nombre aussi dans le Tafilet, quelques-unes dans l’Adrar, le Haut-Sénégal, et, dit-on, jusqu’à Alexandrie et à La Mecque. La moitié au moins des habitans du Gourara et du Touat sont affiliés à cet ordre, et Rohlfs dut à la recommandation du chérif d’y être bien accueilli. Depuis plusieurs siècles, l’influence du grand maître des Taybiya est très grande. Quand il va dans les villes ou dans les campagnes, la