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484 REVUE DES DEUX MONDES. à la Zanguina qu’en passant et dans le cas de nécessité. André accepta de bonne grâce la condition, et, sur les instructions de Bitadura lui-même, on lui construisit un esquif monté en balandre, si svelte et fin qu’il naviguait tout seul. Vers le même temps, oncle Mechelin commença à souffrir d’un grand nombre d’infirmités qui bien souvent l’empêchaient d’aller en mer et même le clouaient au lit. Les modestes écono- mies s’écoulèrent, et l’on commença, au rez-de-chaussée, à sentir plus d’un besoin que le travail des deux femmes ne suffisait pas à satisfaire. André le remarqua avec beaucoup de chagrin, surtout quand il se convainquit que les infirmités de l’honnête pêcheur étaient les suites de sa profession et du poids des ans, c’est-à- dire de celles qui sont sans remèdes et demandent de très grands soins pour que le malade puisse passer doucement les derniers instans de sa vie. Un jour donc, après une visite à la rue Haute où il avait trouvé Mechelin alité et Sidora pleurant à son chevet, il eut une longue et éloquente conversation avec son père, qui connaissait beaucoup le vieux marin, et faisait grand cas de ses qualités. La conclusion de leur conversation fut que le père dit au fils : — Que ta mère n’en sache rien, parce qu’elle ne pense pas comme nous sur ce chapitre, mais il faut procurer à Mechelin la barque dont il a besoin. Et oncle Mechelin l’eut bientôt; et de ce moment s’éclairèrent d’un rayon de joie les tristes jours du rez-de-chaussée de la rue Haute ; et André et le nom de son père y furent vénérés ; et tante Sidora dit à Sotileza : — Vois-tu, ma fille : fais en sorte, à partir d’aujourd’hui, d’être un peu plus accueillante pour cet excellent don André, afin qu’il ne nous prenne pas pour des ingrats. Ce n’est pas que tu lui veuilles du mal, je sais bien qu’il n’y a rien de cela; mais la figure ne doit jamais cacher ce qui se passe au fond de nous, même si c’est mauvais, et à plus forte raison si cest bon. n est bon de dire ici que, s’il y avait entre André et Sotileza une grande intimité, c’était presque uniquement grâce au carac- tère franc et communicatif du premier. Sotileza n’était pas beau- coup plus expansive avec lui qu’avec les autres personnes qui la fréquentaient, — sauf la monstrueuse exception de Muergo. Mais comme à l’égard d’André, elle n’avait d’ailleurs à dissimuler au- cune antipathie, elle se prêta de bonne grâce à l’effort que tante