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486 REVUE DES DEUX MONDES. tarda à comprendre, car il était paresseux d’intelligence, mais quand il entendit de quoi il s’agissait, il bondit comme un tigre et s’écria avec indignation : — Bon sang! tout cela est pure menterie! Vous mentez tous ici ! Et toi plus que personne, vaurienne ! Je connais ce petit mon- sieur! Je sais ce qu’est chacun de ceux d’en bas... et je sais aussi ce qu’est chacun de ceux d’ici ! Et je dis que tout cela est men- terie! Bon sang! et je répète que vous mentez, vous, parce que vous radotez;... vous, parce que vous n’avez jamais ouvert la bouche que pour fausser la vérit»’;;... et toi, parce que tu es une jalouse et une cancanière, bon sang de bon sang! Pendant que Gleto vociférait ainsi, sa mère lui lançait à la tête l’escabeau, Carpia les bouts de corde goudronnée, et Mocejon, sans force pour lui envoyer la moindre chose ni lui donner deux soufflets, l’accablait d’injures grossières. Au milieu des coups, la Sargucta et sa fille ne fermaient pas du reste la bouche et ne se cédaient pas le tour. — Tiens, jocrisse, animal,... mauvais fils. — Attrape, disait l’autre,., et porte lui cela en cadeau. — Ils lont vendue, oui! — Et elle sest laissé vendre ! — C’est comme ça qu’on se met sur le dos des habits de princesse. — Et qu’on vit à l’ombre sans travailler. — Va la chercher maintenant!... charge-toi d’elle, gueux! Ces paroles, sans compter celles de Mocejon qui ne se peuvent répéter, ne sont qu’un faible échantillon de ce qui se criait au cin- quième étage en moins d’une demi-minute, à travers des gestes féroces et des menaces épouvantables. Cleto, qui écumail, ne pou- vant se venger de son père ni de sa mère, se jeta sur Carpia et lui administra la plus souveraine raclée qu’elle eût reçuo de sa vie... Puis il sortit du logis comme une fusée. INIais quand l’air de la rue rafraîchit son visage brûlant, que sa pauvre raison rentra dans son assiette, et que son honnête cœur battit à sa mesure ordi- naire, il remarqua qu’il y avait au plus profond de lui-même une épine qui le déchirait, en même temps qu’un terrible soupçon l’agitait. Ah! si la calomnie laisse toujours quelque trace de son passage, même dans les intelligences les plus subtiles et les cœurs les plus aguerris, comment la raison rudimentaire et l’âme sans expérience de Cleto eussent-elles pu rejeter le poison