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d’empire sur soi-même, comme aussi par manque d’union avec autrui, dont on a fait plus d’une fois une si vive critique. Jusqu’à quel point l’individualisme positif est-il une des qualités fondamentales de l’esprit anglais ? Cette qualité exclut-elle ou, au contraire, favorise-t-elle un développement de plus en plus manifeste du sentiment social en Angleterre ? Quelles sont les origines ethniques et psychologiques de cette double tendance, qui forme une apparente antithèse pour l’observateur, et quelles en sont les conséquences dans les diverses manifestations de l’esprit anglais ? Ce sont là autant de problèmes qui offrent pour nous un intérêt vraiment actuel. Les vieux chroniqueurs du continent, ignorans de l’avenir, ne voyaient dans les insulaires saxons que des « barbares illettrés, lents par tempérament et par nature, rebelles à la culture et tardifs dans leur développement. » Ils avaient grand tort de les dédaigner ! Aujourd’hui on tend plutôt sur le continent, surtout en France, à un sentiment contraire : l’admiration pour l’Anglo-Saxon. Rappelez-vous les deux ouvrages de M. Démolies, mélange étonnant de vérités et de paradoxes, et celui de M. G. Ferrero sur l’Europa giovane, qui est l’hymne d’un Latin à la race anglo-saxonne, sans parler des livres de MM. Gustave Lebon, de Lapouge, Max Leclerc, des Études de philosophie et d’histoire de M. Sarolea, enfin des intéressans et vivans Souvenirs d’Oxford que vient de publier M. Jacques Bardoux. Le premier psychologue de l’Amérique contemporaine, M. William James, dans la Psychological Review de mars 1897, fait observer que les étrangers, et notamment les Français, s’occupent à idéaliser les Anglo-Saxons au moment même où ces derniers, en Angleterre et surtout en Amérique, sont beaucoup moins enthousiastes sur leurs principes traditionnels de conduite et commencent à les avoir en suspicion. Nemo sorte sua contentus ! Au philosophe incombe la tâche d’être, autant que possible, juste pour tous les peuples. La difliculté est que. les Anglais étant à la fois très personnels dans leur individualisme et très semblables entre eux par leur vif sentiment de solidarité nationale, tout ce qu’on dit deux peut être contesté au nom d’exemples particuliers. Et cependant, comment nier qu’il y ait en Angleterre, plus encore qu’ailleurs, des traits communs de tempérament, d’éducation morale et sociale, de tradition historique, qui aboutissent à des courans déterminés d’avance et par où les individus, quelque originaux ou même excentriques qu’ils soient,