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ignorant, il mettait sa nature de reître et une malice grossière à la fois et sournoise au service de subalternes qu’il s’imaginait diriger. Sa conduite était tout ensemble inspirée par son arrogance et par leurs intrigues : livré exclusivement à lui-même, il n’eût été redoutable que par la rudesse de sa nature, mais il devenait beaucoup plus inquiétant par les conseils cauteleux de ses ministres. On pouvait, il est vrai, compter sur les fautes provoquées par la complication de leur fourberie malavisée et de son audace brutale, mais il n’en restait pas moins par sa rapacité et sa puissance un prince fort dangereux. Il ne semblait pas toutefois que l’Espagne eût rien à en craindre, lorsque des circonstances imprévues le placèrent au cœur même des affaires de la Péninsule.

La fortune, jusqu’alors si favorable aux Rois Catholiques, les frappa soudain de coups redoublés. Leur fils, l’Infant don Juan, héritier de leurs couronnes, mourut après quelques mois de mariage, en octobre 1497 ; l’année suivante, sa sœur aînée, Isabelle, reine de Portugal, qui succédait à ses droits éventuels, succomba en donnant le jour à un fils qui la suivit deux ans après dans la tombe (1500) ; ainsi, contre toute attente, Jeanne devenait l’héritière de tous les royaumes espagnols. Philippe, déjà souverain des Pays-Bas, destiné à recueillir de son père Maximilien les États de la maison d’Autriche, et vraisemblablement l’Empire d’Allemagne, devait attendre du chef de sa femme la succession de Castille, d’Aragon et de Grenade, peut-être Naples, et devenait ainsi le premier potentat de l’Europe. Ses prospérités furent comblées, en cette même année 1500, par la naissance d’un fils qui concentrait en sa personne tous ces droits héréditaires, Charles, duc de Luxembourg, qui fut depuis Charles-Quint. Ainsi, au moment où expirait le XVe siècle, la Providence accumulait avec une sorte de précipitation, en Espagne et en Flandre, les élémens de la période future. L’avenir devait montrer tout ce qu’il y avait, pour les peuples et pour les princes, de combinaisons et de pièges cachés dans les rapides événemens qui modifiaient tout à coup le sort de l’Espagne et par suite les conditions générales de la politique européenne. C’était dans la Péninsule qu’allaient apparaître les premières conséquences de ces deuils inattendus.

La situation de l’archiduc se trouvait sans doute singulièrement accrue, mais en même temps il lui incombait une tâche que même un homme supérieur aurait eu peine à accomplir. Il était déjà surchargé par le gouvernement de ses États personnels,