Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ferdinand, réquisitoire contre l’archiduc, il caractérise l’instant le plus aigu de la crise. Toute la première partie de ce précieux brouillon conservé à Simancas est une longue antithèse entre la conduite sage et douce du roi d’Aragon et le mauvais vouloir, les insolences, l’ambition perverse de l’archiduc. Ferdinand fait ressortir ensuite avec une conviction énergique éloquemment servie par l’admirable style du XVIe siècle, le danger de livrer à des étrangers les emplois, les faveurs, l’influence politique en Castille. Il passe de là aux mesures excessives dont Jeanne était la victime. Sans nier, — il ne le pouvait plus — la maladie mentale de la Princesse, il la montre soumise, non pas seulement à une tutelle légitime, mais à de véritables violences, séparée de ses serviteurs, privée de toute communication avec le dehors, notamment avec son père et les ambassadeurs. Il ajoute que Philippe lui avait proposé d’enfermer Jeanne dans une forteresse, que pendant le séjour en Angleterre, peu s’en était fallu qu’il ne la renvoyât en Flandre, que maintenant, il prétendait régner seul au mépris des droits de la reine et de ceux du roi d’Aragon. En regard de ces manœuvres, la circulaire présentait sous les plus brillantes couleurs la modération de Ferdinand, son horreur du désordre, son désir d’entente, son abnégation personnelle. Elle invitait en conséquence les seigneurs et le peuple à aider de toutes leurs forces le Prince dont ils connaissaient le dévouement, et à préserver avec lui les droits de Jeanne et l’indépendance espagnole.

Si ce factum eût été publié, c’était la rupture et la guerre civile. Ferdinand, incertain de vaincre, n’osa en venir à cette extrémité. Il garda sa circulaire en portefeuille, jugea préférable de ne rien faire avant de s’être entretenu avec son gendre, et insista plus fortement que jamais pour une entrevue. Ximénès n’était point de cet avis : il considérait cette conversation officielle comme inutile, dangereuse même peut-être, si elle n’aboutissait pas à un accord ; il affirmait que le climat et la difficulté des approvisionnemens disperseraient bientôt les troupes de l’archiduc, que les querelles des gens de guerre et des habitans susciteraient des mécontentemens utiles, et que le pays lassé, blessé dans ses intérêts matériels et ses susceptibilités nationales, reviendrait promptement au roi d’Aragon. Bien que celui-ci pensât de même sur ce dernier point, il avait confiance dans la supériorité de son génie, dans l’habileté de son langage insinuant, peut-être encore dans le prestige de son âge et de sa gloire, et se