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ordres nombreux à ses subordonnés, cette infirmité le gêne beaucoup, et semble le mettre dans un état d’exaspération permanente. Faisant demi-tour, il prend à un galop raccourci la tête de notre petite caravane, et les deux djiguites, Balientsky et moi nous le suivons dans la direction du village, laissant le convoi des bagages continuer sa route à l’allure ordinaire. Il doit nous rattraper pendant la halte de cérémonie que nous allons faire.

Au bout de trois kilomètres environ, en remontant la vallée, nous apercevons à notre gauche, accroché au flanc de la paroi rocheuse, le village de Soufi-Kourgan, le plus important de toute la région. Il est situé sur un éperon de la montagne, et domine le cirque par lequel se termine la partie large de la vallée. C’est un de ces villages d’hiver où se réunissent les Kirghiz pasteurs : il se compose d’une vingtaine de huttes agglomérées autour du tombeau d’un saint que signale de loin un mât garni de l’inévitable toug, étendard fait d’une boule et d’une queue de cheval. Les habitans paraissent misérables : ils viennent à peine d’achever leur installation d’hiver dans ce village, qui est abandonné pendant l’été, alors que les troupeaux sont dans les pâturages des grandes hauteurs.

A notre vue, un certain nombre d’indigènes sortent de leurs huttes et dégringolent l’escarpement avec une agilité que rendent encore plus remarquable les longues robes de chambre dont ils sont revêtus. Ils nous entourent en donnant les marques de respect les plus empressées. L’un d’eux me présente deux oulars vivans (Megaloperdix himalayensis), perdrix géantes de l’Himalaya, que je regrette de ne pouvoir emporter pour en faire don à l’un de nos jardins zoologiques, où ces animaux ne sont encore connus jusqu’à présent que par les descriptions qu’on en a faites. Il en existe plusieurs espèces ou variétés. Ceux qu’on me montre aujourd’hui sont de la grosseur d’un dindon, et ont tout à fait la forme et presque exactement la coloration de notre perdrix rouge. Ils en diffèrent surtout par leurs tarses, emplumés comme ceux de tous les gallinacés qui habitent aux très grandes altitudes.

Nos hôtes continuent à s’ingénier pour trouver, dans la simplicité de leurs ressources, ce qui peut m’être agréable. M’ayant vu regarder des corneilles de roche à bec rouge qui voltigent autour de nous, l’un des indigènes lance aussitôt à l’une d’elles, avec une grande dextérité, une pierre qui l’étourdit, et il me l’apporte.