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et se résilient comme les contrats privés : tel ou tel État peut hésiter à décréter inutilement leur éternité ; 3° comme les contrats privés, les traités internationaux ne produisent d’effets juridiques qu’entre les contractans et ne sont opposables, en conséquence, ni aux États tiers ni par les États tiers.

Nous devons insister sur cette dernière proposition. Les vaincus, les amputés d’hier, ceux qui signèrent un traité de paix humiliant ou douloureux, alors même qu’ils ne méconnaissent pas la valeur obligatoire des engagemens contractés, repousseront en général, selon toute vraisemblance, l’accession d’une tierce puissance (à plus forte raison celle de toutes les puissances) au pacte qui les étreint. Par une convention du 15 avril 1856, l’Angleterre, l’Autriche et la France garantirent solidairement l’exécution des clauses relatives à l’intégrité de l’empire ottoman, que contenait le traité de Paris : la Prusse et le Piémont, restant en dehors de cette garantie, ménagèrent à la fois l’amour-propre et l’intérêt de l’empire russe. La garantie d’un État tiers est une sorte de traité complémentaire, avantageux à qui dicta la convention principale, car il en assure et peut en prolonger l’exécution ; onéreux à qui la subit, par le même motif. L’adhésion de toutes les puissances au maintien de l’ordre international issu de certains traités équivaudrait à une garantie collective et, par suite, riverait la chaîne au cou des vaincus. Il suffit d’avoir signalé cet écueil, et tout autre développement serait superflu.

Nous ne prétendons pas, bien entendu, que l’obstacle soit insurmontable. On peut, au contraire, saisir cette occasion de corriger tout d’abord les abus de la force en révisant certains pactes. La diplomatie excelle à trouver, dans la conjoncture la plus délicate, un modus vivendi qui concilie les intérêts les plus opposés et peut marier, au besoin, le Grand Turc avec la république de Venise. Mais encore faut-il que le Grand Turc et la république n’éprouvent pas une répugnance invincible pour le mariage, et c’est ce qu’on reconnaît d’ailleurs hautement, à l’heure où nous écrivons ces lignes, dans les sphères politiques « vraiment russes[1]. »

Un chef d’État peut aussi, sans doute, faire au bonheur du monde, dans les assises solennelles du genre humain, divers sacrifices auxquels il ne consentirait pas pour complaire à son voisin

  1. V. la Novoïé Vremia du 15 septembre 1898.