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tous des salariés, payés pour la besogne qui leur sera assignée, administrativement ; car il faut toujours en revenir là, tout se fera par ordre, par décret, par règlement, comme dans un couvent ou dans une caserne.

LE COLLECTIVISTE. — Sans doute, il faudra bien, dans l’usine ou sur le chantier, une discipline du travail ; mais alors, ce que vous oubliez, l’ouvrier ne peinera plus pour un maître étranger ; s’il ne travaille pas, uniquement, pour lui-même, il ne travaillera que pour la communauté. Plus de capitalistes, plus de parasites pour lui enlever la meilleure part du produit de son labeur ; il sera sûr de toucher, intégralement, le fruit de son travail.

L’ANARCHISTE. — Encore une illusion. Pour que l’ouvrier perçût, intégralement, la valeur de son travail, il faudrait qu’il n’eût à entretenir ni gouvernement ni État. Cela ne se peut qu’avec l’anarchie. Comment serait-ce possible dans une république collectiviste qui aura toute une armée d’administrateurs, d’inspecteurs, de surveillans, toutes gens ne pouvant vivre que sur le travail et sur la sueur de l’ouvrier ? Autant de parasites qui dévoreront la communauté ; et ils risquent fort, ces parasites, d’être autrement nombreux qu’aujourd’hui, car les administrations et les services d’une république collectiviste seraient singulièrement plus compliqués que ceux des États modernes. Pour une fonction que vous supprimeriez, vous seriez obligés d’en créer trois nouvelles. Puis, vous comptez bien mettre les enfans, les vieillards, les infirmes, les femmes peut-être, à la charge de la communauté, et avec quoi subviendrez-vous aux besoins des nourriceries, des écoles, des hospices, des maternités, des maisons de retraite des invalides du travail ? Calculez que de millions de têtes à nourrir aux dépens des ouvriers actifs. Comment donc voulez-vous que l’ouvrier touche le montant intégral de son travail ? Loin d’accroître sa part, le prélèvement personnel du travailleur serait moindre qu’aujourd’hui. La grande différence, c’est que le surplus serait encaissé, au nom de l’Etat, sous forme d’impôt sur les salaires, ou de retenue sur les heures de travail.

LE COLLECTIVISTE. — Quand l’ouvrier ne pourrait recevoir la valeur intégrale de son travail, il aurait, toujours, l’avantage de ne travailler que pour la collectivité, et non plus pour un patron ou pour un exploiteur bourgeois. Tous pour chacun, chacun pour tous, c’est la devise du collectivisme. Plus de distinction entre maître et ouvrier, plus d’autre patron que la collectivité.