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retrace que la persistance du même état pathologique, les lents progrès de la maladie, la monotone mélancolie d’une existence insignifiante, sans but, douloureuse et déréglée.

Nous ignorons même si Charles-Quint, au cours de ces trente années, a rendu visite à sa mère. Il est presque certain que, jusqu’en 1531, il n’est pas venu à Tordesillas, car on trouverait assurément dans les lettres du marquis de Dénia au moins quelque allusion à un fait aussi saillant. Il se pourrait, au contraire, que, plus tard, l’Empereur se fût présenté au château ; il y a dans les documens de Simancas qui concernent la reine une lacune de vingt années, de 1531 à 1552, et l’on ne saurait rien affirmer sur cette période. Un seul fait est constant, en dehors de l’aggravation de l’état physique et moral de Jeanne par l’effet naturel de l’âge et des infirmités, c’est le maintien de l’appareil royal dans l’organisation de sa maison. Nous trouvons en effet, dans une pièce de comptabilité, une liste de chambellans, dames, aumôniers, secrétaires et domestiques qui ne comprend pas moins de cinquante noms. S’agit-il là de simples titres honorifiques, ou bien faut-il penser que l’on avait trouvé moyen de concilier les exigences de l’étiquette avec les rigueurs de la réclusion ? Il en était peut-être de ces sinécures comme de l’écrin de la reine, dont nous avons aussi l’inventaire, mais qui vraisemblablement n’est jamais sorti des armoires confiées à la garde de son trésorier.

A partir de 1552, nous sommes mieux éclairés. Nous avons en effet sous les yeux des documens dont la sincérité est indiscutable. Ce sont les lettres du P. François Borgia, l’éminent religieux qui rachetait par ses vertus les crimes de sa race. Elles sont adressées non pas à l’Empereur, mais au Prince héréditaire qui fut depuis Philippe II, et qui, séjournant en Espagne, avait passé quelques jours auprès de sa grand’mère. Il lui avait montré de l’intérêt et avait manifesté le désir d’être informé de sa situation. Ces lettres, conservées à Simancas, nous donnent les renseignemens les plus précieux sur les dernières années de Jeanne, sur ses suprêmes instans et sur sa mort.

Ce fut au cours d’une tournée apostolique en Castille que ce personnage vénérable qui, dans son enfance, avait été menin de l’Infante Catherine, et dont la reine avait gardé un bon souvenir, passa à Tordesillas et demanda à présenter ses hommages à la prisonnière. Elle le vit et l’écouta avec déférence. Éclairé par l’esprit de charité, il connut plus complètement que tout autre