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toute puissante, mais toute simple. Où les autres se déploient, il se concentre. Loin de répandre sa force au dehors, il la ramasse au dedans. Encore une fois, ce n’est pas le dramaturge, c’est le musicien lyrique qui triomphe en lui. Vous ne le voyez pas non plus, comme le Verdi du Libera, du Tremens factus sum, traîner le pécheur aux pieds du juge et le jeter, presque le tordre, dans les convulsions d’une tragique épouvante. La terreur est bannie de cette œuvre, ainsi que la vengeance, la réprobation, les pleurs et les grincemens de dents. Dies iræ, ces deux mots qui couvrent de leur ombre une partie de la liturgie catholique et servent comme de fond à d’autres Requiems, en celui-ci ne sont pas même prononcés. Et cette omission fait peut-être l’œuvre de Brahms imparfaitement chrétienne, ou chrétienne d’un seul côté, mais du côté le plus lumineux, le plus doux, celui du pardon et de la miséricorde.

Ce n’est pas au moins qu’on puisse adresser à cette musique le reproche de mollesse ou de sentimentalité. Ni la grandeur, ni même la sublimité ne lui manquent. L’une des pages citées plus haut : Seigneur, enseigne-moi que je dois finir ! donne, avec une gravité qui n’a pas été surpassée, la plus grave des leçons. Pour ceux qui refusent à la musique la faculté de l’analyse ou de la psychologie, le pouvoir d’exprimer les variétés ou les variantes d’un même sentiment, pour ceux-là, ou contre eux, je voudrais établir, — mais je ne peux que le proposer, — une comparaison entre ce mémento de notre néant et le Credo, nihiliste aussi, mais autrement, du Iago de Verdi. Peut-être trouverait-on là mieux que la matière d’un vain parallèle : l’occasion et les moyens de prouver que la musique sait caractériser les différens aspects d’un sujet ou d’une idée, et que, par les seuls élémens qui lui sont propres, elle est capable d’opposer l’une à l’autre deux interprétations d’une même vérité, deux aveux, diversement inspirés, du néant que nous sommes, la négation sainte et la négation impie.

Mais la suprême, l’essentielle beauté du Requiem allemand, c’est décidément la douceur et la paix. C’est une « longueur de grâce, » une continuité de tendresse qu’on pouvait ne pas attendre d’un maître ailleurs plus inquiet et plus tourmenté. Dès les premiers versets, au lieu du musicien de telle symphonie ou sonate, que nous admirions pour sa violence un peu farouche, un autre musicien, plus grand, à nous s’est révélé. « Heureux, chante l’introduction, heureux ceux qui souffrent ici-bas, car ils seront consolés ! » Et déjà les intonations, les modulations, les harmonies et les cadences, tout répand sur la divine promesse une ombre lumineuse, faite de souriante mélancolie et de