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l’impulsion de l’Esprit qui soufflait en eux ? » — c’est que l’on sait, comme alors, mieux qu’alors peut-être, où est le guide, et le chef, et le maître ; c’est que « l’autorité de l’Eglise et de son chef suprême ne court plus le moindre risque d’être méconnue ou obscurcie ; » c’est que notre individualisme a enfin quelque part et son frein, et sa règle, et sa loi.

Au reste, et dans le temps que l’on disputait sur le mot, une occasion s’offrait de montrer quelle était la chose, et combien aisément cet individualisme, en Amérique, se renonce lui-même dès qu’on lui en présente un motif légitime. Les Américains sont-ils une nation ? La question semble impertinente, mais on la trouve souvent posée dans les journaux d’Amérique, ou du moins il n’y a pas longtemps qu’on l’y trouvait encore. « La grande erreur de l’archevêque Ireland, disait-on couramment, ce sont ses idées sur l’Amérique, sur les Américains, sur l’Eglise américaine. L’Amérique n’est pas une nation, ni une race, ni un peuple, comme la France, l’Italie ou l’Allemagne. Le père de notre République a fait une fédération d’États qu’unit entre eux le lien d’une constitution et d’une autorité communes : il n’a point constitué de nation. Nous avons des concitoyens dans une République, mais nous n’avons point de nation[1]. » Ce qui faisait la gravité de ces paroles, c’est qu’elles étaient d’un journal catholique, et allemand ; et on sait quelle est la proportion de l’élément allemand parmi les catholiques d’Amérique. Le même journal, à quelque temps de là, parlant d’un discours du cardinal Gibbons à Milwaukee, s’exprimait encore plus crûment : « Tous ces grands hommes nous assomment, disait-il, are dragooning us, — je n’ai pas le texte allemand sous les yeux, — avec leur Américanisme. » Et un évêque, précisant mieux encore sa pensée, disait à son tour : « Nous ne voulons pas d’église américaine, mais une Eglise catholique, apostolique et romaine en Amérique. » L’origine du mouvement remontait à 1886, c’est-à-dire à l’époque où Mgr Ireland et Mgr Keane, arrivant à Rome pour y traiter de l’organisation de l’Université catholique de Washington, avaient été « très surpris, very much surprised » d’y rencontrer un « délégué des évêques et des catholiques allemands d’Amérique. » Il était chargé

  1. Sur cette question, dans laquelle je crains bien qu’il ne soit difficile à un étranger de ne pas laisser échapper plus d’une erreur, je ne crois pas commettre d’indiscrétion en disant que je m’autorise des conversations de Mgr Keane. J’emprunte les textes à un très intéressant opuscule du P. Georges Zurcher, Foreign