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durée, mais très lourd au point de vue des responsabilités, pesait déjà sur sa tête. Il avait créé autour de lui une atmosphère de mécontentement où il ne pouvait plus respirer. Nous ne perdrons pas de temps à le plaindre : c’est nous, c’est le pays que nous plaignons de la situation dans laquelle il nous laisse, et dont il nous reste à sortir. Voilà le second essai que nous faisons d’un gouvernement purement radical : il y a de quoi nous guérir de la tentation d’en faire un troisième. M. Bourgeois avait duré six mois, M. Brisson en a duré quatre : les temps sont légèrement inégaux, les résultats sont les mêmes.

Bien entendu, l’affaire Dreyfus a influé sur la situation et en a déterminé le brusque dénouement. De cette affaire elle-même, nous ne dirons rien aujourd’hui. La réserve qui s’impose à tout le monde s’impose particulièrement à ceux qui ont cru inévitable la révision d’un procès trop fameux, quelque regrettable qu’elle puisse être à beaucoup d’égards. La juridiction compétente a été régulièrement saisie, et peut-être même est-elle sur le point de prononcer son arrêt : dès lors, nous n’avons qu’à nous taire et à attendre. Il ne s’agit pour le moment que du ministère qui vient de tomber. Nous ne lui reprochons à coup sûr pas ce qu’il a fait pour ramener le jour dans cette ténébreuse affaire ; après l’incident Henry, il ne pouvait pas procéder différemment ; mais, si nous l’avons approuvé alors, il nous a été impossible de ne pas faire dès le lendemain les plus expresses réserves sur les ténèbres nouvelles dont il enveloppait toute sa conduite. Au milieu de l’intensité et de la nervosité de l’attention publique, il a eu l’air de jouer une pantomime sans paroles à laquelle, avec beaucoup d’autres, nous avouons n’avoir rien compris. Les actes les plus contradictoires, et pourquoi ne pas dire les plus incohérens, se sont succédé. L’opinion était engagée un jour dans une voie et le lendemain dans une autre. Les bruits les plus déconcertans couraient, sans être démentis, sur les sentimens personnels de tels ou tels ministres, qu’on voyait d’ailleurs faire tout juste l’opposé de ce qu’on devait naturellement attendre d’eux. L’absence des Chambres, en ajournant les responsabilités, permettait au gouvernement de réfléchir sur lui-même et sur son œuvre, de rectifier ce que celle-ci pouvait avoir d’incorrect ou d’aventureux, d’adopter une attitude définitive, avouable et défendable : il n’a pas profité de ces longues semaines de répit que la fortune semblait lui attribuer. Ici encore, c’est sa faiblesse qu’il faut accuser. Il n’a jamais très bien su ce qu’il voulait. Il y avait en lui, s’il est permis de parler ainsi, des membres actifs et des membres passifs. Les premiers, chargés de prendre des résolutions, étaient le plus souvent en désaccord les uns