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FRAGMENS ET SOUVENIRS
DU COMTE DE MONTALIVET

M. le comte de Montalivet n’a pas laissé de Mémoires, si l’on entend par ce mot une suite de récits embrassant toute une vie. A ceux qui, charmés par la vivacité de sa conversation, le pressaient de fixer ses souvenirs, il avait coutume de répondre, en se montrant sévère envers lui-même, qu’il avait pu, sous le coup d’émotions très vives, défendre avec succès la mémoire du roi ou l’honneur des principes qu’il avait servis, mais qu’il ne fallait pas confondre la verve avec les qualités qui font l’écrivain. Telle était malheureusement sur ce point sa conviction qu’il n’a consenti à écrire que fort tard et fort peu.

C’est son extrême affection pour ses petits-enfans qui seule est parvenue à triompher de sa répugnance. Il a écrit quelques fragmens, chapitres dispersés d’un livre qu’il aurait dû achever. Sa longue expérience leur destinait cette leçon d’histoire. Il croyait que la jeunesse aurait après lui de grandes crises à traverser. Témoin du passé, il voulait épargner à ses enfans les fautes et surtout les déceptions dont sa vieillesse portait le poids. La valeur de son témoignage résulte de l’ensemble de sa carrière.

Né sous le Consulat, ayant reçu tout enfant sous l’Empire les impressions de la vie et ressenti pendant la Restauration toutes les ardeurs de la jeunesse, M. de Montalivet a attaché son nom à l’effort le plus noble que, dans l’ordre politique, la raison humaine ait tenté d’accomplir en ce siècle : la fondation et le développement d’un régime de liberté où la monarchie serait solidement établie, la loi entourée du respect de tous et l’ordre maintenu sans mesures d’exception. Franchement attaché au gouvernement constitutionnel, il a travaillé dans la