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revanche, lorsque l’empereur sort par exception de son palais pour se rendre à quelque résidence d’été ou aller sacrifier à un temple, on fait la toilette de la partie de la ville qu’il doit parcourir, de façon à lui donner l’illusion que sa capitale est bien tenue. Dans les rues où passera le cortège on comble sommairement les fondrières, on jette du sable sur le sol, on fait disparaître tout ce qui choquerait l’œil du Fils du Ciel, comme ces misérables paillottes qui encombrent et rétrécissent la grande artère de la ville chinoise ; on peint en blanc l’intérieur des demi-lunes du rempart, mais seulement jusqu’à la hauteur où l’empereur, de sa chaise à porteurs, peut atteindre du regard. Aucun souci, dans tout cela, d’une amélioration réelle ou durable ; sauver la face, voilà ce qu’on veut et rien autre chose.


III

Une course dans les environs de Pékin, à la Grande Muraille et à quelques-uns des temples bâtis sur les collines à l’ouest de la ville, confirme les impressions recueillies dans la capitale. Cette excursion se fait aujourd’hui en quatre ou cinq jours, avec un confortable relatif et sans aucun danger. Un boy, c’est-à-dire un domestique servant à la fois de guide, d’interprète, de valet de chambre et de cuisinier, souvent fort expert dans l’art de Vatel, un âne et son ânier, une charrette attelée de deux mules et son charretier, tel est l’équipage que comporte cette course que l’on accomplit ainsi assez agréablement, en alternant la marche à pied et le transport à des d’âne. Le personnel peut sembler nombreux, mais nul autre que son ânier ne saurait faire avancer un âne chinois, et nul autre que leur charretier des mules chinoises ; quant au boy, c’est l’homme indispensable, entre les mains duquel il faut s’en remettre absolument et auquel on confie le soin de régler, avec un lourd sac de sapèques et des billets de valeur minime émis par des banques locales, tous les frais de l’excursion, notes d’auberge aussi bien que pourboires aux serviteurs et aux gardiens ou aux bonzes des temples. Il va de soi qu’il fait un peu danser l’anse du panier, qu’il sait se réserver son petit bénéfice, son squeeze, comme on dit en pidjin english, dans ce jargon qui n’a guère d’anglais que le nom et qui est la langue franque des ports chinois. Mais un Européen se déplaçant en Extrême-Orient