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Cependant, quand nous n’avons pas su voir comment la solution régulière pouvait concorder avec le rythme mélodique, alors, et pour ce cas seulement, nous nous sommes affranchis de la rigueur de leurs règles. » Des juges compétens ont approuvé cette doctrine[1]. La pratique achèverait de les séduire s’ils entendaient le plain-chant à Solesmes. Il est certain que c’est un accompagnement singulier et difficile que celui « dont la suppression serait la première condition de progrès[2]. » Mais là-bas, comme l’accompagnement accompagne ! Sous les cantilènes déjà si douces, quelle douceur encore il répand ! Jamais il ne s’oppose ou ne se distingue. Comme une eau tranquille et pure, il porte la mélodie sans secousse et la reflète sans trouble ; ou plutôt il ne forme avec elle qu’un seul et même courant : elle en est la surface légère, il en est le dessous profond.

A Sainte-Cécile, pendant l’office de la profession, l’orgue ne se contenta pas d’accompagner. Sous des mains expertes, qu’on sentait féminines, qu’on devinait blanches comme les touches d’ivoire, il fit entendre, en guise de préludes et d’intermèdes, quelques fragmens de Bach et de Mendelssohn. Et je trouvai d’abord importunes, presque impertinentes, ces mélodies moins austères. Mais bientôt j’excusai leur présence et même je crus comprendre leur langage. Je ne livrerai point vos secrets, je ne lèverai pas le bord de votre voile et je tairai votre nom, virtuose invisible et sainte, aux doigts harmonieux. Mais je sais qu’elle était de votre sang, l’enfant qui venait vous rejoindre par ce clair matin d’été. Et ce sang, on me l’a dit aussi, est celui d’une famille de musiciens. Alors, j’imagine, vous avez joué pour elle, peut-être quelques-uns des vieux airs qu’elle aimait. Vous les avez offerts et donnés avec elle à Celui à qui elle se donnait elle-même. Et pour la jeune fille, ce fut l’adieu suprême et le dernier écho du monde qu’elle quittait ; non pas certes du monde profane, mais d’un monde supérieur, infiniment noble, infiniment pur, moins sublime pourtant que le monde où elle allait entrer pour toujours.

Mendelssohn et Bach finirent par se taire. Le plain-chant reprit, et il triompha. Elles furent de nouveau les bienvenues, les voix humaines, les voix vivantes, qui chantaient, mais qui

  1. Voir les notes bibliographiques dans la Tribune de Saint-Gervais de juin 1898.
  2. R. P. Lhoumeau.