Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

Tout à coup, en avril dernier, l’Allemagne change d’attitude, déclare au sultan qu’elle ne peut, contre le sentiment nouveau des puissances, le maintenir en Thessalie, et elle l’engage à évacuer cette province. Le Turc ne s’étonne de rien, parce que sa finesse éveillée voit les causes de tout. La volte-face de l’Allemagne avait des raisons simples. Les emprunts antérieurs de la Grèce avaient été pour la majeure partie souscrits par des Allemands : la faillite imminente de la Grèce après sa lutte malheureuse eût lésé des intérêts allemands ; un moyen s’offrait de les sauver, c’était de placer les finances grecques sous un contrôle européen. Mais cette opération, semblable à celle qui assure un conseil judiciaire aux gens incapables de gérer leurs biens, est aussi humiliante pour leur réputation qu’utile à leur fortune, et d’ordinaire ils prennent fort mal qu’on assure leur avenir. La Grèce refusait donc d’accepter le contrôle. L’occupation de la Thessalie par les Turcs était une contrainte destinée à vaincre cette résistance. Il fallait que la Grèce fût forcée d’opter entre la présence de quelques surveillans européens dans ses bureaux et la présence d’une armée turque dans l’une de ses provinces et qu’elle se convainquît qu’elle ne pourrait libérer la terre grecque sans ce sacrifice d’amour-propre… Voilà pourquoi l’Allemagne fortifiait de ses conseils la résolution des Turcs à garder la Thessalie, et pourquoi, le contrôle accepté par la Grèce, elle cessa d’entretenir les espérances des Turcs. La leçon fut dure, mais claire pour ceux-ci. Elle prouvait avec évidence que, même en servant leur avantage, l’Allemagne songeait toujours à elle, à elle seule, et les Turcs ont senti que, dans cette affaire où elle avait joué deux nations au profit de son épargne, le rôle humiliant avait été pour eux ; qu’au moment où elle excitait leur honneur et semblait leur augurer un retour de force conquérante, elle voulait seulement faire peur à la Grèce du rôle pris par eux de bonne foi : elle était l’enfant volontaire, ils ont été l’ogre qui doit disparaître à la première soumission de l’enfant. Ils ont conscience qu’ils méritaient mieux. Et le sans-gêne qui les a pris pour dupes a été un second échec pour l’influence allemande.

Le troisième et le plus important a suivi aussitôt. La Thessalie évacuée, l’affaire de Crète restait à résoudre. L’Europe ne pouvait