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pentes de granit, des nappes d’eau vive brillent, encadrées de jolis établissemens de pêche, et les villages construits en bois n’offrent aucune ressemblance avec les paroisses canadiennes ; plus de ces vieilles fermes aux murailles massives qui, coiffées d’une haute toiture, décrivent sur de grandes étendues des processions dont le terme est l’Eglise. L’Église ici c’est le meeting house, en planches comme tout le reste, se distinguant à peine des autres maisons par une espèce de petit beffroi à jour que surmonte un coq en guise de girouette. Edifice civil autant que religieux, comme l’indique son nom. Les Puritains, pères de la Nouvelle-Angleterre, tenaient en ce lieu toutes leurs assemblées, quel qu’en fût le but : louer le Seigneur, préparer une campagne contre les Indiens, régler les affaires extérieures de la colonie, admonester ou condamner, eux, les promoteurs de la liberté de penser, quiconque ne pensait pas à leur façon, Dieu étant mêlé d’ailleurs à tous les débats et à toutes les besognes.

Autant que le Canada, la Nouvelle-Angle terre était une théocratie, mais le Dieu des Canadiens demeurait le fidèle allié du roi qui envoyait aux missions des Jésuites ces ornemens de prix, cette orfèvrerie somptueuse que l’on montre encore à Lorette, tandis que le Dieu des Puritains ne voulait ni roi, ni évêque, ni pompe, ni hiérarchie, ni symboles, à ce point que le gouverneur Endicott n’hésita pas à mutiler de son épée le drapeau anglais pour en retirer la croix, signe d’idolâtrie papiste. On ne pouvait être chrétiens de manières plus opposées, et aux différences de religion s’ajoutaient, avec les antipathies de races, l’horreur de certains souvenirs. Les guerres franco-indiennes, qui se renouvelèrent si souvent fournissent aux campagnes d’inépuisables légendes. Les sauvages dépossédés recherchaient l’alliance qui leur fournissait des armes, Abénakis contre Anglais, Iroquois contre Français. Notre Nouvelle-France occupait une position beaucoup plus avantageuse que celle de sa voisine et couvrait des espaces vingt fois plus considérables, mais l’immigration augmentait sans relâche la force des troupes coloniales anglaises. A qui resterait la prééminence sur le continent d’Amérique ? Toute la question semblait être là lorsque surgit, comme dans la fable, le troisième larron. Cette lutte qui durait depuis un siècle se termina par la proclamation de l’Indépendance américaine, les colons anglais ayant constaté que les armées régulières de la mère patrie n’étaient pas invincibles. Washington dut sentir sa force