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mais venez à l’imprévu pour voir la mine de nos gens… » Richelieu fait toujours la sourde oreille. Deux jours après, autre lettre, plus pressante encore, de la même source et de la même main. Même immobilité. Les soupçons planent sur lui et sur son frère. Ils se défendent à peine dans des lettres concertées où la concordance des termes exprimant des excuses également alambiquées cache à peine leur commun embarras.

Cependant à Paris, on a connu tout l’incident. Richelieu, d’ailleurs, avait pris les devans. Il avait écrit au Roi et à Luynes. La lettre au Roi indique le regret où se trouve l’évêque « de ne pouvoir se garantir des calomnies dont on le charge que par le silence, » et sollicite le Roi « de lui prescrire pour sa demeure tel autre lieu qu’il plaira à Sa Majesté, où je puisse vivre sans calomnie comme je suis de coulpe, l’assurant que, en quelque lieu que ce soit (et il avait ajouté en marge ces mots rayés prudemment « même la Bastille s’il le juge à propos »), je m’estimerai grandement heureux s’il me garantit de la perte de ses bonnes grâces. » La lettre à Luynes est pleine d’émotion ; mais le ton est déjà tout différent des lettres précédentes. Le résolution prise donne à l’homme quelque accent de fierté : « J’ai supplié la Reine de me permettre de me retirer, lui demandant congé pour quinze jours. Vous saurez comme le tout s’est passé, quelles sont mes intentions et mes desseins et je m’assure que toutes mes actions vous feront connaître que l’envie et la rage de tous ceux qui me traversent ne peuvent rien altérer en un homme de bien comme moi. On me veut, monsieur, faire perdre l’honneur. Je me suis mis en votre protection pour ne rien considérer que le service du Roi, de la Reine sa mère et le vôtre… Si on pense que Dieu m’ait donné quelque esprit qui n’est pas grand, il ne me doit pas être imputé à crime. Dieu voit tout… Je vous supplie d’aviser à ce que vous estimerez pour le mieux et contribuer à la conservation de l’honneur d’une personne à qui véritablement on ne le peut ôter. » La cour saute sur l’occasion. Le 15 juin, Louis XIII écrit à Richelieu et le félicite, avec une ironie officielle, de la résolution qu’il a prise de se rendre dans son diocèse « pour y faire les devoirs de votre charge et pour exhorter vos diocésains à se conformer aux commandemens de Dieu et aux miens. » Il lui enjoint en outre de ne pas quitter désormais son évêché sans un ordre nouveau. L’évêque de Luçon reçoit cette lettre à Richelieu. Il répond le 18 juin : « Sire, n’ayant jamais eu ni ne pouvant avoir