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dans vos rangs. Grâce aux armes modernes, l’âge n’est plus une excuse pour refuser de descendre en champ clos ; mais, pour écrire avec succès, il faut avoir de la foi, et je n’en ai plus aucune dans la société. Tous mes vœux seront pour votre Revue littéraire. Il y a aujourd’hui en Bretagne trois ou quatre talens dont les preuves sont faites et qui seront sans doute très disposés à vous prêter secours dans vos belles études. »

Je ne sais si cette façon de passer la main tout en bénissant fut goûtée par nos enthousiastes ; du moins déclarent-ils que la lettre était « honorable « pour eux, et, comme ils avaient la foi, Leconte de Lisle et ses deux amis redoublèrent de zèle chrétien et d’ardeur littéraire, en faisant appel « aux talens inconnus. » Ils déclarèrent même que les bénéfices — ô naïfs ! — de la Revue seraient consacrés à des œuvres de bienfaisance. À La Variété, « les paioles seront aumônieuses, les pensées seront la propriété de l’indigent » et tous ainsi, « riches et pauvres, poètes et puissans, » collaboreront à l’accomplissement d’une bonne pensée. Les marches de l’autel, on le voit, furent ainsi les premiers degrés que franchit le jeune poète pour arriver au fouriérisme, au bouddhisme, au panthéisme et au naturalisme. La charité et la fraternité chrétiennes furent son premier idéal ; il a aimé le catholicisme autant qu’il devait le haïr plus tard, et cela servirait à justifier ses amis et ses exécuteurs testamentaires d’avoir voulu l’ombre de la croix pour sa tombe et pour son œuvre, puisqu’ils lui firent des obsèques religieuses et qu’ils ont publié son poème La Passion. Ne faut-il pas ajouter aussi que ses haines s’étaient bien atténuées à la fin et que, dans ses derniers vers, Jean Dornis a voulu voir « un acte de foi ? » On peut dire sans exagération que La Variété fut, de toute manière, un véritable acte de foi.

M. Mille était un humoriste, Charles Bénézit était un musicien. Les mémoires d’une puce de qualité (une puce de Napoléon Ier !) et l’Orphelin, roman musical, de ces deux rédacteurs, se continuèrent de livraison en livraison. La collaboration de Leconte de Lisle[1] était de moins longue haleine, mais ne fut pas moins importante ; elle comprend cinq poèmes, trois études littéraires et deux nouvelles.

Les cinq poèmes sont Issa ben Mariam, Lelia dans la solitude,

  1. Les autres collaborateurs étaient Émile Langlois, Charles Vergos, Édouard Turcfuety, A. Lefas, Julien Rouffet, P. de Labastang, P.-E. Duval, Camille Maugé, Charles de l’Hormay, Pitre Werbel, J.-M. Tiengou, etc..