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boire, selon le joli mot de Tantucci, ce « calice de dilation. » Il ne songeait plus, comme il le dit lui-même, qu’à vivre « en un petit ermitage parmi ses livres et les actions de sa charge. » Son parti était pris, et il devait s’y tenir avec la fermeté de caractère qui l’avait arraché à la situation dangereuse où une erreur de jugement l’avait d’abord placé.

Que l’on songe aux difficultés inextricables où il était engagé ; que l’on considère l’extraordinaire opportunité de la lettre du marquis de Richelieu qui lui fournit une occasion si propice de se tirer d’affaire, qu’on tienne compte de l’obstination avec laquelle il se dérobe aux appels désespérés de la Reine, qu’on pèse le mécontentement de celle-ci, quand elle devrait plutôt plaindre ou consoler, et on sera amené à se demander si, en vérité, la lettre qui a provoqué si subitement le départ, — en admettant même qu’elle n’eût pas été dictée de loin au marquis, — était aussi formelle que Richelieu l’a prétendu. Tous les témoignages qui subsistent, concordent, il est vrai, pour faire croire à un coup du hasard. Mais ces divers récits sont tous empruntés aux allégations de l’évêque ou du marquis. Quant à la lettre de celui-ci qui aurait fait part des intentions du Roi, elle ne s’est pas retrouvée. La question reste donc ouverte et nous en sommes réduits aux conjectures. C’est, qu’en effet, dans les matières où la liberté humaine est en œuvre, la certitude non seulement sur les intentions, mais sur les actes, échappe bien souvent, surtout quand les personnes qui ont agi ont intérêt à faire disparaître les témoignages. Il y a, en histoire, nombre de problèmes qui ne seront jamais éclaircis, quelque ardeur ou quelque passion que l’on mette à vouloir tirer des dossiers ou des archives plus qu’ils ne peuvent contenir, ou plus qu’ils ne veulent donner.

Quant à la reine Marie de Médicis, la violence de son chagrin paraît s’être atténuée peu à peu. Au bout de quelque temps, elle apprend que la mission confiée si maladroitement à Béziers ne réussit pas. Elle en écrit à Richelieu sur un ton très affectueux, mais plus calme : « Monsieur de Luçon, vous avez su ce qui se passe en notre affaire. Il semble que le sieur de Luynes se veuille maintenant dédire de la promesse qu’il m’a faite. Je ne pense pas pourtant qu’il le puisse faire, s’il considère que ce n’est pas de la sorte qu’il faut traiter la mère de son roi… Si ceux qui vous travaillent étaient aussi affectionnés à servir le roi que je sais que vous êtes, ils vous traiteraient autrement qu’ils ne font. Il faut