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le pouvons, à nos pays de protectorat. Elle a peut-être raison dans ses critiques : si nous admirons médiocrement notre politique douanière en France, nous l’admirons encore moins dans nos possessions d’outre-mer. L’Angleterre s’en plaint parce qu’elle en souffre ; nous fermons la porte à son commerce, et tout le monde sait qu’elle est dans le monde le champion de la porte ouverte. Croit-elle, vraiment, avoir trouvé dans les États-Unis un disciple de ses doctrines ? Jamais on n’aurait vu métamorphose plus complète, ni plus instantanée. M. Méline est un dangereux libre-échangiste à côté de M. Mac Kinley, et nos tarifs de douane ont la hauteur d’un simple parapet comparés à l’immense muraille que les Américains ont construite de leurs mains énergétiques et rudes. Les Anglais, qui pourtant rêvent peu, semblent aujourd’hui se bercer de l’illusion que les États-Unis appliqueront, dans leurs colonies futures, le principe de la porte ouverte à tout le commerce international, et qu’ils mettront à leur entrée de simples tarifs fiscaux, les mêmes pour tout le monde, et que leurs marchandises paieront comme les autres. Nous le croirons quand nous le verrons ; mais, pour le moment, ce n’est pas ce que nous voyons à Porto-Rico. Les Américains y continuent les pratiques des Espagnols, qui, en fait de douanes et de navigation, sont encore plus prohibitifs que nous, plus exclusifs, plus amoureux des privilèges du pavillon national. Que feront-ils aux Philippines ? Que feront-ils partout où ils s’établiront, car il est difficile de croire que leurs ambitions soient déjà satisfaites, et qu’un aussi formidable appétit que le leur ait été rassasié dès les premiers coups de dents ? L’Angleterre regrettera peut-être un jour, non pas d’avoir éveillé cet appétit car il s’est éveillé tout seul, mais de l’avoir encore excité. Nous assisterons alors à des spectacles vraiment neufs, et qui trancheront par leur originalité sur ceux dont nous avons l’habitude ; mais rien ne nous y étonnera plus, si, par miracle, elle se maintient, que la bonne camaraderie dont l’Angleterre et les États-Unis font en ce moment le touchant étalage. Qui vivra verra.

FRANCIS CHARMES.