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capable de ce miracle ; et, ainsi, non seulement ce qu’il y a de plus précieux, mais ce qu’il y a presque de plus sacré pour l’homme se fonde sur ce qu’il y a de plus obscur en lui. Connaissez-vous de plus bel exemple du « besoin de croire ? » On a peut-être détruit trop de préjugés, disait ce philosophe. Et moi, Messieurs, je dirai : « Ne confondons pas du moins les préjugés avec les croyances ; ne pensons pas que l’obscurité soit marque ou preuve d’erreur ; et persuadons-nous au contraire que, si le besoin de croire est la loi de l’action féconde, cela suffit, et nous pouvons être assurés qu’il est donc une loi de l’homme. »

Et les fondateurs ou les organisateurs de ces nouvelles religions dont je vous parlais l’ont bien su ! et, plus ou moins consciemment, parce qu’ils l’ont su, c’est pour cela que, de la « Révolution » ou du « Progrès » leur politique a essayé de faire des religions. Quand ils se sont sentis sûrs des principes qu’ils avaient posés, et quand ils ont voulu passer de la théorie à l’application, ils ont essayé d’imprimer à ces principes les caractères qui sont ceux de la croyance. C’est ce que font en ce moment même, et parmi nous, sous nos yeux, les apôtres du socialisme. Eux aussi, de l’état d’un système d’idées ils s’efforcent de faire passer leurs doctrines à l’état de croyances, et du même coup, remarquez-le bien, de l’état statique à l’état dynamique, du domaine de la théorie dans le champ de l’action. En ce sens, et comme on a pu dire que la question sociale était une question morale, on pourrait dire que la question sociale est une question religieuse. Ce ne sont point des solutions déterminées que les socialistes nous proposent, et même on les voit refuser de formuler un programme. C’est qu’à vrai dire ils n’en ont pas, et ils n’ont pas besoin d’en avoir ! mais ce sont de nouveaux mobiles d’impulsion qu’ils essaient de substituer aux anciens, ce sont de nouvelles croyances qu’ils essaient de susciter dans les âmes, ou, en d’autres termes encore, et parce qu’il est le principe de l’action, c’est au besoin de croire qu’ils s’adressent, et c’est lui dont ils voudraient à tout prix s’emparer.

Condition de l’action, — et, vous venez de le voir, de l’action individuelle comme de l’action sociale, de la formation du caractère et de la grandeur des nations, — je dis qu’en second lieu, ce qui nous assure qu’aucun scepticisme ne triomphera jamais de ce besoin de croire, c’est qu’il est également, et de plus, la condition de la science. Vous vous rappelez la parole de Pilate : « Et Pilate dit : Qu’est-ce que-la vérité ? » Qui de vous, qui de nous, une fois au moins en sa vie ne s’est posé cette question ? Oui, qu’est-ce que la vérité ? où est-elle ?