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Mais le malheur est aussi qu’il n’y en ait pas de plus ingénieux. On cherche entre les objets des rapports nouveaux, des rapports subtils, des rapports cachés ; on en découvre ; cela conduit à en chercher d’autres ; et, insensiblement, une manière de parler s’introduit, qui, de singulière, ne tarde pas à devenir bizarre, et, de bizarre, incompréhensible. Qu’on appelle donc un miroir « le conseiller des Grâces, » il n’y a rien là qui nous étonne et nous n’y voyons qu’une façon de dire un peu apprêtée. Mais au lieu de dire : « Approchez-nous ce fauteuil, » si l’on dit : « Voiturez-nous ici les commodités de la conversation, » voilà qui est d’un goût douteux, et nous comprenons que Molière n’ait pas pu supporter ce jargon.

C’est qu’en premier lieu, selon son expression,

Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité.

On ne parle pas naturellement comme cela. Il faut s’y être étudié. D’un divertissement la conversation deviendrait une fatigue, ou plutôt un supplice, si l’on était obligé de la soutenir sur ce ton. Le style « précieux » est d’autant plus éloigné du style « naturel » qu’il est plus différent du vrai style « parlé. » On dit : « Nicole, apporte-moi mes pantoufles et mon bonnet de nuit ; » et on peut avoir des raisons de ne pas le dire, mais on n’en a jamais de le dire autrement. « Vous voulez dire, Acis, qu’il fait froid ; dites : il fait froid ; » et ainsi diront, — pas toujours, mais généralement, — La Bruyère après Molière, et Voltaire après La Bruyère. Tout le reste ne sera que « jeux de mots, qu’affectation pure. » C’est pourquoi nous ne nous embarrasserons pas de suivre nos métaphores ; nous ne verrons pas dans la régularité de nos comparaisons la grande règle du style ; et si, par hasard, nous en étions tentés, il nous suffira de songer à la nature de la comparaison et de la métaphore.

C’est probablement ce qu’aura fait Molière, et, en y songeant, il se sera sans doute aperçu que toute métaphore et toute comparaison n’étaient vraies que jusqu’à un certain point. Deux objets peuvent avoir un, deux, trois caractères de communs, mais quelque ressemblance que l’on découvre entre eux, ils ne sont pas identiques, puisqu’ils continuent d’être deux. C’est ce que n’ont pas vu les précieuses, et c’est ce que Molière a parfaitement su. Toute comparaison n’est bonne qu’autant qu’on ne la pousse point ;