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Succombant sous le poids de son divin fardeau,
Ne trouve pas un gîte et pas un verre d’eau.
Oui, tu le veux ainsi, Dieu né dans la misère,
Afin que le chrétien voie en tout homme un frère
Et, dans tout malheureux, un frère préféré,
Et qu’à jamais pour lui le pauvre soit sacré.
Mais le monde à ton ordre est-il resté docile,
Divin Maître ? Devant tant d’errans sans asiles,
Qui donc aujourd’hui songe aux parens de Jésus,
Jadis, à Bethléem si durement reçus ?
Hélas ! qui se souvient de la Sainte Famille ?

Donc, sous tous les regards de la nuit qui scintille,
Les voyageurs sont là, l’air si triste tous deux
Que l’hôtelier finit par avoir pitié d’eux.
D’ailleurs, il s’aperçoit que la femme défaille.

« Holà ! valets… Un coup de fourche dans la paille,
A l’étable… Ces gens y passeront la nuit. »

Et c’est dans cet endroit abject qu’on les conduit ;
C’est là qu’on fait un lit de paille sur la fange
Pour celle que sacra le salut de l’archange ;
Et, tandis que Joseph donne à l’âne son foin
Et cherche à s’installer pour la nuit, dans un coin,
Troublé par les intrus, un vieux bœuf qui rumine
S’éveille, et d’un gros œil mauvais les examine.

Mais que se passe-t-il dans les hauteurs du ciel ?
Minuit ! Voici l’instant promis par Gabriel !
Une voix, à travers l’abîme solitaire,
Dit : « Gloire au Dieu très-haut ! Paix aux bons sur la terre ! »
Puis on entend le vol d’un ange qui s’enfuit.
O sainte nuit ! Suave et formidable nuit,
Nuit où va s’accomplir, dans cette étable immonde,
Le plus immense fait de l’histoire du monde !
O nuit, quelle splendeur ! Les constellations
Ont de tendres regards d’amour dans leurs rayons.
Chaque étoile, ce soir, palpite, tout émue,
Comme un cœur qu’une intime allégresse remue,