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de Nemours vint quelques momens après ; il était plus calme, mais sans action. Le Roi me dit que M. Molé était venu lui annoncer à la fin de la soirée qu’il n’avait pas pu réussir à former un Cabinet, que MM. Passy et Dufaure avaient refusé d’entrer, qu’il était donc obligé de résigner la mission que le Roi lui avait confiée. Le Roi avait envoyé chercher M. Thiers ; mais, en attendant, le flot grossissait, le danger devenait plus grave, il n’y avait plus de gouvernement, et il était nécessaire d’avoir sur-le-champ un chef militaire, d’une autorité personnelle assez grande pour porter le fardeau de la situation jusqu’à l’installation du nouveau ministère. Le maréchal Bugeaud était naturellement désigné. Le Roi me demanda de contresigner la nomination du maréchal comme commandant supérieur de la garde nationale. Il ajouta que c’était au nom de son salut personnel et du salut de la monarchie qu’il faisait cet appel au dévouement de ses anciens ministres. « Le duc de Montpensier et M. de Montalivet faisaient des objections. Ils craignaient que M. Thiers ne désapprouvât cette nomination et qu’elle ne lui servît de prétexte pour refuser le ministère. Le Roi répondit qu’il se croyait assuré du contraire, que M. Thiers ne la ferait peut-être pas, mais que certainement il l’accepterait une fois faite et que c’était là une de ses principales raisons pour insister sur la nomination immédiate. Alors, le duc de Montpensier me prit à part et me pressa vivement de ne pas me prêter aux désirs du Roi. Son insistance me surprit plus qu’elle ne me toucha. Je revins vers la table sur laquelle était le projet d’ordonnance, et je signai. Il était environ deux heures du matin. »