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encourageant, par exemple, la polygamie : et n’avons-nous pas vu le gouvernement des États-Unis s’opposer à la propagation du mormonisme qui était dans ce cas ? Or, il ne faut pas se le dissimuler, l’abandon du culte des ancêtres, imposé à leurs adhérens par toutes les fractions du christianisme, constitue aux yeux des Chinois un affreux sacrilège, un attentat à la morale et aux lois, bien pire que ne peut l’être pour nous la polygamie. L’emploi, par certaines sectes protestantes, de missionnaires femmes scandalise aussi les indigènes, et la vue de jeunes filles logeant sous le même toit que des hommes qui ne sont pas leurs maris fait naître chez eux quantité de pensées peu édifiantes. Il n’importe que le culte des ancêtres ne soit qu’une série de cérémonies vides, que la vie des missionnaires, hommes ou femmes, soit parfaitement pure alors que celle des Célestes lest souvent fort peu ; ce sont les formes et les apparences qui ne sont pas sauvegardées ; et ils y tiennent plus qu’au fond même des choses.

La violation fréquente par les Européens des usages les plus chers aux Chinois, la différence profonde des civilisations et des manières d’envisager presque toutes choses, l’égale bonne foi avec laquelle les uns et les autres sont convaincus de leur supériorité, ont engendré fatalement un mépris réciproque et fait naître chez les Célestes de toute classe, à l’égard des étrangers, de mauvais sentimens qui ne vont nullement en s’atténuant. Ils nous considèrent autant que jamais comme des barbares, bien que l’article 51 du traité de Tien-tsin avec l’Angleterre ait proscrit l’usage officiel du caractère signifiant « barbare » pour désigner les étrangers. Tout l’appareil scientifique et industriel de notre civilisation n’est nullement pour eux un critérium de supériorité. Ils voient en nous d’adroits ouvriers, d’habiles prestidigitateurs, mais des gens grossiers et sans lettres. Ils sourient de pitié en nous apercevant occupés de besognes inférieures, alors que nous négligeons la véritable culture et les enseignemens de la sagesse antique, contenus dans leur littérature. Ils attachent peu d’importance à toutes nos inventions : « J’ai fort bien compris, disait le prince Kong à un ministre de France qui venait de lui exposer la théorie et la pratique des chemins de fer ; vous vous servez en Europe des voies ferrées pour vous rendre d’un point à un autre ; en Chine, nous obtenons absolument le même résultat avec nos voitures. Nous n’allons pas si vite, c’est vrai, mais nous ne sommes pas pressés. » Cette réponse date de vingt-cinq ans ;