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Luynes avait paru incliner du côté du ministre. Et puis, ces deux personnages, Luynes, souple et cauteleux, Epernon, hautain et raide, étaient d’humeur incompatible. Ils s’étaient rencontrés, un jour, sur le degré du Louvre et Epernon avait dit à Luynes ce mot, depuis légendaire : « Vous autres, messieurs, vous montez, et nous, nous descendons. »

Un moment, on put craindre à la cour que le duc, entouré de ses gentilshommes, de ses gardes et d’une bande de sbires qu’il entretenait à son service, « les Simons, » ne tentât un coup en plein Paris. On voulut le saisir. Averti, il quitta la ville, après avoir fait audacieusement ses visites d’adieu à la tête d’une troupe de trois cents cavaliers, et se rendit à son château de Fontenay-en-Brie. Mais, sur nouvel avis, il avait cru prudent de s’éloigner, gagnant presque seul, à marches forcées, malgré son âge, sa ville de Metz, où il s’enferma. Il n’était pas homme à pardonner cette alerte.

Cependant, Ruccellaï se creusait toujours la tête pour trouver les moyens de rentrer en grâce près de la Reine-Mère, dont il s’était déclaré le cavalier servant. Il errait, déguisé et inconnu, autour de Blois, reçu de temps à autre, en cachette, par Marie de Médicis, qui se prêtait à ce dangereux manège. Il eut l’idée de lui proposer d’aller lui-même, avec un mandat exprès, demander au vieux duc de Bouillon, expert en intrigues et en rébellion, un appui ou du moins un conseil. Autorisé, il partit d’une traite de Blois pour Sedan, toujours déguisé, se sentant toujours traqué, en péril, mais allègre et résistant, malgré sa complexion délicate, parce que le feu de l’intrigue l’animait. Bouillon refusa l’appui, mais donna le conseil : « Adressez-vous au duc d’Epernon, dit-il ; lui seul est d’humeur et de taille à vous venir en aide. »

Grand embarras pour Ruccellaï ; il était brouillé à mort avec le duc. Cependant, il tenait à son projet. Ce n’était pas le scrupule des premiers pas qui le gênait ; mais il craignait un refus brutal de d’Epernon quand celui-ci saurait que, lui, Ruccellaï, était dans l’affaire. Avec une habileté consommée et où se reconnaît le disciple de Machiavel, il trompa le duc et l’engagea à fond dans le complot, sans se découvrir. Quand il se montra, les fils étaient noués de telle sorte que le duc était à la discrétion de l’intrigant, qui, d’un seul mot, pouvait le perdre. Il n’y avait plus qu’à marcher.