Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à qui l’on demande pourquoi il ne s’est pas marié, répond qu’une femme coûte beaucoup trop cher, et il énumère avec une complaisance bouffonne tout l’argent quïl faut dépenser pour sa toilette ou ses plaisirs. Remarquons que Périplécomène est le sage de la pièce, que les autres personnages ont une grande considération pour lui et approuvent fort ses paroles. Le public aussi prenait grand plaisir à les entendre ; ce qui semble au moins l’indiquer, c’est que, pour le contenter, les acteurs y ajoutaient sans cesse quelques traits nouveaux[1].

Périplécomène ne s’en tient pas là, et, comme on lui dit « que c’est pourtant un honneur pour un homme riche et bien né d’élever des fils qui conservent son souvenir parmi les hommes et propagent sa race, » ce sentiment romain le touche peu, et il répond gaillardement : « Des fils ! qu’en ai-je besoin ? n’ai-je pas d’autres parens qui prennent soin de moi, et grâce auxquels je vis à ma fantaisie ? Le matin, avant que le jour ne brille, ils sont chez moi, pour savoir si j’ai bien dormi. Ils m’apportent des présens. S’ils offrent un sacrifice, ils me réservent le meilleur des viandes, ils m’en donnent plus qu’ils n’en gardent pour eux-mêmes ; ils m’invitent à les venir manger avec eux, ils me prient à déjeuner et à dîner ; ils sont au désespoir s’ils s’aperçoivent qu’ils ont moins donné que les autres. Sans doute, en les voyant lutter entre eux de libéralités, je me dis qu’ils en veulent à mon héritage. Mais, en attendant, je vis à leurs dépens et de leurs cadeaux. » Voilà ce qu’un siècle et demi plus tard, on appellera les avantages du célibat præmia orbitatis, dont tant de gens voulaient jouir. Ce mal, qui a rongé jusqu’à sa fin la société romaine, dont on se plaignait déjà du temps des Gracques, contre lequel Auguste a lutté toute sa vie, sans relâche et sans succès, il est plus ancien que nous ne pensons, il existait déjà, au moins en germe, à l’âge d’or de la république. Plaute, qui l’aperçoit, en plaisante et l’encourage. La scène du Miles gloriosus fait comprendre la colère de Mommsen contre la comédie romaine, qu’il accuse d’être immorale, ennemie de la famille et de la patrie, et justifie les reproches qu’il adresse aux magistrats de ne l’avoir pas interdite. Mais comment les magistrats se seraient-ils élevés contre elle ? Ils avaient dans le cœur

  1. Certaines interpolations, qu’on a notées dans les manuscrits de Plaute qui nous ont conservé cette scène, provenaient sans doute de ces ajoutés que les acteurs y faisaient pour amuser les spectateurs. C’est ce qui arrive aussi dans la scène de l’Avare de Molière où Harpagon commande le dîner à maître Jacques.