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On n’avait ni crédit ni prestige, et voilà qu’en se faisant initier on se tirerait d’affaire, on se grandirait et on grandirait l’humanité. Mais un monsieur de Paris vient d’arriver à l’Hôtel central : c’est une notabilité du Grand Orient, qui vient visiter la loge. Le voisin va causer avec cet étranger ; bien mieux, il chuchote. On dit qu’en France il n’y a pas plus de trente-trois personnages comme celui-là, et parmi eux quatre députés, deux anciens députés, six conseillers généraux ou municipaux, un préfet, un chef de division de préfecture, deux maires de chefs-lieux, un conseiller à la Cour d’appel, un inspecteur d’Académie ; et l’une de ces grandeurs condescend à venir voir la petite loge. Rien d’étonnant qu’on obtienne des faveurs ! Agacé de ne rien pouvoir et jaloux d’influence, agacé de ne fréquenter que ses pairs et jaloux de hautes relations, agacé de ne rien savoir et jaloux de connaître la « Veuve, » sa prochaine mère, agacé d’être un homme comme un autre, et jaloux de grandir les fils d’Adam, le profane postule, et la loge compte un maçon de plus. On ne lui demande, lors même qu’il aspirerait à détrôner le Vénérable, aucun engagement au sujet de l’éducation confessionnelle de ses enfans ou du caractère civil de ses obsèques : les convens de 1894, 1895, 1896, refusèrent de stipuler à cet égard aucune exigence[1] ; seuls les membres du Conseil de l’ordre et les employés que le Grand Orient fait vivre doivent, en vertu d’un règlement oral, signer à cet égard certaines promesses[2]. Le commun des profanes souscrivent, depuis 1895, une obligation imprimée par laquelle ils s’engagent à « tenir toute leur vie une conduite conforme aux doctrines maçonniques[3] ; » et c’est tout. Ils ne connaissent qu’ultérieurement le mot révélateur de M. Courdaveaux, ancien professeur à la Faculté de Lille : « La distinction entre le catholicisme et le cléricalisme est officielle, subtile, pour les besoins de la tribune ; mais, ici, en loge, le catholicisme et le cléricalisme ne font qu’un[4]. »

Esprit de secte, impérieux besoin d’affecter des idées « avancées, » innocent désir d’acquérir des amitiés, des protections et du lustre : c’est pour l’une de ces raisons, et parfois pour deux d’entre

  1. B. G. O., août-sept. 1894, p. 183-187 et 263-270 : août-sept. 1895, p. 289 et v. ; — C. R. G. O., 21-26 sept. 1896, p. 20-33 et 169-173.
  2. B. G. O., août-sept. 1894, p. 310-311.
  3. B. G. O., août-sept. 1895, p. 219. — En revanche, le Congrès des Loges de l’Ouest, tenu à Angoulême en 1897, prétend réclamer de tous les maçons l’engagement d’élever leurs enfans en dehors de tout culte. (Compte rendu, p. 22.)
  4. Chaîne d’Union, 1880, p. 199.